Personnalité respectée de la chanson française, Michèle Bernard connaît une rentrée tout feu tout flamme avec un livre de souvenirs et un disque « Miettes ».

Depuis ses débuts en 1975, elle défend une vision singulière et indépendante de son métier. En marge du show-business, elle poursuit une œuvre riche et réunit autour d’elle un public fidèle. C’est de longue date que Michèle Bernard partage sa vie avec la musique et les mots.

Forte de 22 albums, sa carrière discographique se poursuit à un rythme constant avec la sortie en août dernier de son nouveau CD, « Miettes ». Elle reprend également ses concerts avec Frédéric Bobin dans le cadre de « Balades croisées ». Un duo inattendu ? Pas si sûr !… Et il fallait bien un jour que cela arrive : l’envie de partir ensemble sur les routes. Michèle Bernard et Frédéric Bobin n’auraient sans doute pas pu y échapper bien longtemps tant ils ces 2-là se portent une admiration mutuelle et tant leurs parcours d’artistes se font écho.

Nous les avons rencontré•es à Béziers, ce dimanche 5 novembre, au Festival « L’espoir s’invite » à La Cosmopolithèque.

Entretien

RM : : Michèle Bernard et Frédéric Bobin, bonjour et bienvenu•es. Vous êtes à Béziers, à La Cosmopolithèque pour participer au festival « L’espoir s’invite ». Michèle Bernard, vous venez de publier un livre de souvenirs et un CD de 19 titres qui s’appelle « Miettes ». Les miettes, c’est ce qui reste quand on a fini de manger. Dans ce CD, ce sont les miettes de vos regrets, de votre mémoire, de vos souvenirs, de vos nostalgies ?

Michèle Bernard : Bonjour et merci beaucoup ! Les miettes, c’est aussi qu’on a trouvé la vie tellement bonne qu’on veut encore en manger les miettes. Dans la chanson, c’est une image. Les miettes qu’on récupère sur la table, on les balance aux poules, les poules mangent les miettes et pondent des œufs donc c’est le cycle de la vie qui continue.

RM : Vous participez au festival « L’espoir s’invite », c’est que vous représentez quelque part un espoir…

MB : Nous sommes des espoirs de la chanson française… On plaisante, mais peut-être qu’on donne une image plutôt positive en ce sens qu’on fait du bien aux gens, qu’on les emmène vers une énergie positive.

RM : Et pourtant, vous en êtes à votre 22e album, un album qui traite des thèmes du passé, nostalgiques, mais aussi de thèmes très très actuels.

MB : Ben oui ! Je suis ancrée dans le monde d’aujourd’hui donc forcément je chante ce qui me touche, je chante ce qui se passe aujourd’hui et reconstitue l’ambiance du moment.

RM : Les migrants par exemple avec la chanson « Où irez-vous ? ». Quel regard portez-vous sur ce qui se passe ?

MB : J’allais dire : je pense comme tout le monde… mais non ! Il y a des gens qui s’en foutent complètement. Je trouve incroyable l’indifférence quand des migrants par dizaines, par centaines coulent au fond de la Méditerranée et que l’on continue d’aller à la plage et de faire du voilier. Je ne porte pas de jugement, j’observe. Le rôle de l’artiste, c’est de pointer les choses, de les signaler des fois que certains ne les auraient pas vues.

RM : Les migrants, mais aussi la guerre, dans la chanson « le manège bombardé ». C’est dur de savoir qu’il y a autant d’enfants maltraités, tués, massacrés ?

MB : Ce qui est fou, c’est que cela existe depuis la nuit des temps. La cruauté humaine et la guerre sont de très vieux phénomènes. Il se trouve que quand on y est confronté au présent, je ne sais pas comment on peut regarder à côté.

RM : Et puis autre thème, le féminisme ! J’ai trouvé que la chanson « Communardes » était totalement engagée dans le combat féministe.

MB : En tout cas, c’est une page d’histoire qui exprime que les femmes depuis très longtemps ont cherché à s’émanciper et à revendiquer un sort meilleur. C’est cela que j’avais envie de dire : les féministes d’aujourd’hui qui nient un peu le passé se trompent. Les femmes ont depuis toujours essayé d’améliorer leur sort.

RM : Et ce passé vous le faites remonter à La Commune ?

MB : Non, j’ai un amour particulier pour « la Commune de Paris », mais cela se passait bien avant. Les femmes ont fait la grève du sexe dans la Grèce Antique, c’est complètement dingue quand on y pense.

RM : Vous avez aussi chanté « le Temps de Cerises »

MB : C’est une chanson très symbolique de cette époque de La Commune de Paris.

RM : Vous abordez également des thèmes comme l’hypertechnologie, cette forme de modernisme qui, en particulier pour les enfants, aboutit à une sorte de déshumanisation et à une disparition du vivre ensemble.

MB : J’ai le sentiment qu’on est en train de sombrer dans un crétinisme généralisé en confiant nos cerveaux aux machines. Plus ça va, moins nos cerveaux fonctionnent. C’est ce que je ressens. On voit que les enfants ont de plus en plus de difficultés à se concentrer plus de 5 minutes parce qu’ils sont toujours complètement passifs sur leurs trucs. Cela m’inquiète et j’ai l’impression que le monde se déshumanise effectivement.

RM : Revenons à l’espoir, une jeune génération est-elle au rendez-vous ?

MB : C’est l’endroit de l’espoir, on va dire. Si une partie de la jeunesse participe à la société de consommation, une autre partie commence à bouger, à militer pour l’écologie, à résister « pour sauver le monde ».

RM : Frédéric Bobin, vous chantez aussi en solo. Vous venez de publier un nouveau CD intitulé « Que tout renaisse ». On y est en plein dans l’espoir que tout renaisse, que tout recommence ?

FB : J’ai voulu effectivement insuffler un peu d’espoir dans cet album, car on en a fort besoin en ce moment. 

RM : Du Creusot à Singapour, si je vous ai bien écouté et on a fait un grand voyage.

FB : Vous faites allusion à deux chansons que j’ai écrites avec mon frère voilà quelques années dans une veine que je qualifierai de sociale. Je suis né dans une petite ville industrielle ouvrière qui s’appelle Le Creusot. Mon frère et moi on a été baignés dans cette culture populaire et ouvrière. Cela nous a beaucoup marqués et je pense que cela se ressent dans nos chansons et dans notre façon de voir le monde. Singapour, c’est une chanson écrite en 2006, qui parle des délocalisations, mais que je chante toujours, car elle reste d’actualité. C’est une chanson inspirée par la délocalisation d’une usine de Rennes. Comme une « protest-song » des années 60 (une chanson créée à partir d’un fait divers).

RM : Ces « Balades croisées » avec Michèle Bernard tournent depuis longtemps ?

FB : Cela fait 5 ans qu’on tourne ensemble. C’est en parallèle de nos spectacles respectifs. Un côté récréatif avec lequel on prend beaucoup de plaisir qui nous change finalement de notre « routine » d’artistes solos. Mélanger deux univers, deux sensibilités, deux instruments, deux voix, deux générations, ce n’est pas si commun. Cela nous apporte et nous nourrit beaucoup. Du plaisir pur !

RM : Vous êtes à Béziers, ce n’est pas une ville anodine sur le plan politique. Vous n’auriez peut-être pas été invités dans une salle municipale. Comment vous percevez-vous cette lente dérive où les valeurs de l’universalisme et les valeurs d’humanité sont remises en cause, voire oubliées.

MB : Oui, oubliées ! Pour que la société de consommation prenne toute la place, il faut qu’on la laisse mettre de côté ce qui est lié au partage et à la solidarité. Ce n’est pas compliqué ! Nous pointons cela et nous disons que d’autres choses existent. Les gens qui viennent nous écouter peuvent être touchés.

RM : C’est la culture qui va nous sauver ?

MB : Je ne sais pas si on va être sauvés, très honnêtement ! mais si la culture disparait totalement, on est foutus !

RM : Les artistes sont là pour réveiller nos émotions, mais aujourd’hui il faut que l’émotion change de camp, car celle suscitée par les médias « officiels », c’est un autre type d’émotion, une émotion d’exclusion, de bouc émissaire, d’amalgame, de jalousie, de haine. La Culture, c’est le contraire, non ?

MB : Vous parlez de ce qui est véhiculé par les médias et leurs systèmes de valeurs. Ce sont des magnats qui détiennent la presse et qui empêchent que des choses soient dites dans les principaux journaux et les principales chaînes de télévision. De fait, obligatoirement, nous on disparait de ces antennes-là.

RM : Vous avez aussi évoqué Anne Sylvestre pendant le concert. Une référence pour vous ?

MB : Oui bien sûr ! Quelqu’un avec qui j’ai cheminé pendant plusieurs années, qui m’a beaucoup aidée dans ce métier. Elle a produit certains de mes disques. Elle a été importante pour moi. Quand j’étais adolescente, j’étais très fan de ses chansons et donc c’est un beau parcours d’amitié et d’admiration. J’avais envie d’en parler.

RM : Nous nous battons pour une presse libre et indépendante. Vous, vous êtes des artistes libres et indépendants.

MB : En tant qu’artistes, nous ne sommes pas plus libres que n’importe quel citoyen et nous sommes soumis aux différentes pressions sociales. Mais il est vrai qu’on a la chance de faire un métier où on peut s’exprimer, on a une vie rigolote et sympa. C’est un métier fatigant, mais faire plaisir aux gens, les voir heureux d’avoir partagé quelque chose avec nous, c’est un très beau cadeau !

RM : Michèle Bernard et Frédéric Bobin, merci d’être passé à Béziers et de nous avoir accordé ces quelques minutes après votre spectacle. Au plaisir de vous revoir.

MB : Merci à vous, au plaisir de revenir,

FB : Merci pour votre invitation.

Vous pouvez retrouver Michèle Bernard et Frédéric Bobin pour leurs « Balades croisées » le vendredi 15 décembre à Lautrec (81) et le samedi 16 décembre à Montans (81)

Version audio :

 

 

 

 

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