Dans le combat idéologique que mène le président de l'Agglomération, populiste, fondamentaliste et d'extrême droite, de Béziers-Méditerranée, la Mam tient une place de choix. Nous avions déjà consacré plusieurs articles (ici et ) à la médiathèque André Malraux, qui révélaient la mise en place d'une politique libérale en termes de ressources humaines et d'investissements. Aujourd'hui l'esprit de reconquête pèse sur la Mam.

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"[Les] missions [des bibliothèques] s'exercent dans le respect des principes de pluralisme des courants d'idées et d'opinions, d'égalité d'accès au service public et de mutabilité et de neutralité du service public." Loi Robert (Article L-310-A)

Le président de l'Agglomération Béziers-Méditerranée est un fin stratège. On (re)lira La Croisade de Robert Ménard de l'historien Richard Vassakos pour s'en assurer. On aurait pu croire qu'en prenant la tête de l'Agglomération il s'attaquerait en priorité aux collections d'ouvrages de la Médiathèque. Bien sûr certains titres qui appartiennent à la littérature d'extrême droite sont apparus, à commencer par ses propres ouvrages. Et on a pu voir disparaître un temps La Pieuvre, journal local d'opposition, ou Courrier International, en même temps qu'apparaissaient Valeurs actuelles ou Causeur, journaux d'extrême-droite, au niveau des périodiques. Mais les professionnels de la Médiathèque ont conservé une certaine autonomie en matière d'achats. Les crédits affectés aux achats de livres, disques, DVD etc. restent stables, plutôt en augmentation, sans dépasser la barre des 250 000 euros, depuis 2021. Néanmoins les habitué.es de la Mam notent une déperdition de la qualité du fonds proposé : les "classiques" disparaissent au profit d'ouvrages commerciaux.

Pour autant c'est au niveau de l'action culturelle que la main-mise idéologique s'opère plus franchement.

Les cafés philo, géo ou éco sont passés d'un rythme mensuel à trimestriel et ne concernent plus que la philo. À quoi bon réfléchir ? Les goûters philo sont animés par l'auteur de jeunesse Michel Piquemal, pressenti un temps pour figurer sur la liste du maire aux dernières élections. Les conférences type "Béziers libère la parole" de la première mandature de Robert Ménard ont pris place à la Mam. Des journalistes d'extrême-droite issus du site d'information Boulevard Voltaire ou de Causeur y interviennent. On aura pu écouter en janvier 2022 le sociologue Michel Maffesoli, qui avait été invité en septembre 2020 par la Ligue du Midi pour son 10ème anniversaire; ou le dramaturge Jean-Pierre Pelaez, auteur de l'article "L'extrême droite, si elle n'existait pas, il faudrait l'inventer" sur Boulevard Voltaire. On pourrait évoquer également Dimitri Casali invité en avril 2022 pour pleurer sur "la France championne de l'autoflagellation et la désintégration de l'école". Ou bien encore en janvier 2023 Xavier Driencourt, ancien ambassadeur en Algérie, qui a rejoint le comité stratégique du média d'extrême droite Livre noir. On retrouve les noms de Casali, Driencourt à côté de celui de de Villiers lors du congrès national pour son 50ème anniversaire du Cercle algérianiste en octobre 2023 au palais des Congrès de Béziers. Le Journal du Biterrois diffusé sur toute l'agglomération ne manque pas d'accompagner leur promotion.

Autres moyens de propagande, les fameuses affiches ménardiennes qui ont trouvé également leur place à la Médiathèque André Malraux et posent franchement la question de la neutralité du service public, sans que l'État n'y ait une fois de plus trouvé à redire. Les usagèr.es ont pu être atterré.es cet hiver d'apercevoir dans l'espace public de la Mam une affiche sexiste de promotion des commerces biterrois mettant en scène la piche Barbie. Mais dans le cahier d'observations mis à disposition des usagèr.es, illes se sont montré.es carrément choqué.es face à l'affiche de soutien à Israël. La cérémonie des médaillé.es et retraité.es dans l'auditorium de la Médiathèque (sic), a été d'ailleurs l'occasion pour Robert Ménard d'évoquer son séjour au kibboutz Nir Oz violemment attaqué le 7 octobre, déplacement relayé également dans le Journal du Biterrois.

On raconte aussi dans la folie statuaire de Robert Ménard qu'il serait question d'installer dans le patio de la Mam un buste de Voltaire. La Mam serait-elle un boulevard pour propager les idées du fameux site d'extrême droite qu'il créa en 2012 avec son épouse ?


La Mam, encore une médiathèque ?

"[Les bibliothèques] conçoivent et mettent en oeuvre des services, des activités et des outils associés à leurs missions ou à leurs collections. Elles en facilitent l'accès aux personnes en situation de handicap. Elles contribuent à la réduction de l'illettrisme et de l'illectronisme. Par leur action de médiation, elles garantissent la participation et la diversification des publics et l'exercice de leurs droits culturels." Loi Robert (Article L310 A-4)

Mais au-delà de cette propagande idéologique, c'est la fonction même d'une médiathèque qui est sapée.

En fait les personnels ne sont plus associés aux projets ni dans la prise de décisions ni parfois dans leur construction. Ceux-ci sont imposés. Les personnels découvrent certaines actions en même temps que le public. Ils n'ont plus la possibilité de faire des propositions. Les expositions sont téléguidées, comme celle en octobre 2022 consacrée à la tauromachie, déjà largement promue aux Arènes ou au Musée taurin créé en 2015.

La politique culturelle relève davantage de l'événementiel, comme on peut le voir également au niveau des festivités biterroises ou même au théâtre. Il faut inviter des auteurs à forte audience que l'on retrouvera également à la vitrine de la librairie locale, comme Nicolas Lebel. Ou de manière moins heureuse comme Véronique Bogdanoff et Damien Nougarède le 12 janvier dernier.

On en a une démonstration assez évidente au Pôle musique. Auparavant des artistes régionaux venaient montrer leur travail. Aujourd'hui il s'agit de faire la promotion (un showcase), relayée par le Journal du Biterrois, d'un artiste qui passera dans la salle de concert municipale Zinga Zanga. En outre les invités relèvent souvent d'une vision culturelle passéiste, qui révèle la volonté du maire de satisfaire ce qu'il croit être les attentes populaires comme Sheila en novembre 2023, Chantal Goya en novembre 2022, en amont des illuminations de Noël. On a pu voir passer aussi en février 2023 Bernard Minet, la voix des génériques du club Dorothée ou en mars 2022 le sulfureux Hugues Aufray, celui qui ne veut plus chanter que dans les cathédrales pour les défendre.

On peut y faire aussi à l'occasion la promotion d'une école privée hors contrat.

C'est l'orientation culturelle même de la Mam qui est remise en cause. L'espace est rogné peu à peu par des projets qui n'ont pas trait aux fonctions d'une médiathèque.

Ce fut en 2021 le déménagement du PIJ (Point d'Information Jeunesse) situé à la maison de quartier Georges Brassens près des lycées et des quartiers populaires, très apprécié des familles, au rez de chaussée de la Mam, "plus centrale" aux dires du président d'Agglomération.

La bibliothèque Daniel Cordier, secrétaire de Jean Moulin, au passé maurrassien, inaugurée en octobre 2021 ou l'espace Jean Moulin, ouvert en mai 2023 à l'occasion de la date anniversaire de la mort du résistant, consacré à ses dessins, ont privé définitivement les étudiants de salles d'études équipées du Pôle Recherche du dernier étage. La bibliothèque Cordier apparaît comme un mausolée toujours désert. La création de l'espace Jean Moulin, qui aurait trouvé toute sa place dans l'immeuble Jean Moulin, sis en face de la Mam, si la mairie n'en avait pas vendu une partie, semble n'avoir qu'une fonction d'appel touristique. L'utilisation du personnage historique de Jean Moulin est symptomatique par ailleurs de la manière ménardienne de détourner des figures de la Résistance. Résister est présenté par cet ancien militant de la LCR comme l'ADN de la posture d'extrême-droite et de son action politique. Insister sur la figure de Cordier, comme l'a très bien démontré Richard Vassakos (1), à travers l'analyse des discours prononcés par le maire, c'est instiller l'idée que le Résistance était composée majoritairement de monarchistes et de chrétiens.

Autre projet qui risque de rogner toujours davantage l'espace et l'action propres à la médiathèque : celui d'une artothèque qui permettrait d'emprunter des oeuvres d'art. Le projet en soi serait sympathique, mais trouverait davantage sa place dans un musée d'art qui verra peut-être enfin le jour en 2025 après la fermeture de nombreuses années des musées d'art et d'histoire biterrois. On se souvient d'ailleurs qu'en 2021 la Mam avait exposé des pièces de ces musées fermés. On peut se demander quels moyens humains et financiers seront mobilisés et pour quels types d'oeuvres.

Avec tous ces ambitieux projets, on imagine bien que Robert Ménard n'est pas revenu sur la fin de la mise en réseaux entre les différentes médiathèques ou la disparition des médiabus. Les quartiers et les villages sans bibliothèques ne sont plus desservis, il n'y a pas d'annexe en ville, ni de portage à domicile pour les personnes empêchées. Il n'y a pas de politique de la lecture publique.

Ce dévoiement de la Médiathèque est rendu possible par l'absence de directeur ou directrice depuis l'arrivée de Robert Ménard à la présidence de l'Agglomération en juillet 2020 et la démission forcée de la directrice de la Mam. L'irruption de l'éditeur Stéphane Million pendant quelques mois comme chargé de mission n'est qu'un épisode de plus de la gestion erratique de Robert Ménard. Beaucoup de départs de salarié.es notamment parti.es à la retraite n'ont pas été remplacé.es ou l'ont été par des jeunes contractuel.les à qui on a parfois promis un contrat pérenne et qui ont été bien déçu.es. L'organisation de la fonction publique entre les différentes catégories n'est pas respectée et la gestion des personnels soumise à l'arbitraire. Comment des personnels compétents pourraient-ils travailler en confiance dans cet environnement ? La résistance est difficile. Pas d'action syndicale (le syndicat Force ouvrière est majoritaire) ou de synergie d'usagers, qui permettraient de défendre collectivement les fonctions d'une médiathèque face à un président de l'Agglomération peu scrupuleux. Une certaine auto-censure s'opère.

Lors de la dernière élection présidentielle bibliothécaires et auteurs s'inquiétaient d'une éventuelle victoire de la candidate RN. (2) L'ABF, l'association des bibliothécaires de France, rappelait à cette occasion que la gestion des bibliothèques municipales par des responsables d'extrême droite entraînait des "mesures" "loin d'être modérées". À l'instar de cette litote, la ligne politique suivie par Robert Ménard relève d'un côté d'une libéralisation de l'espace public (baisse de personnels, dérèglement de la fonction publique), de l'autre d'une mainmise sur les actions culturelles de la Médiathèque. Cette mainmise participe d'une part de la croisade idéologique de Robert Ménard, par le biais d'une propagande plus ou moins affichée, mais surtout par la déconstruction de la fonction culturelle même d'une médiathèque.


(1) La croisade de Robert Ménard, Richard Vassakos, Edition Libertalia, chapitre "La Résistance".

(2) "Bibliothécaires et auteurs inquiets d'une extrême droite au pouvoir", Antoine Oury, ActuaLitté, 19 avril 2022.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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