Ce titre est emprunté aux propos d'Hamlet (William Shakespeare, première représentation en 1601).

Dans la scène 2 de l'acte II, on trouve cet étrange dialogue entre Polonius, seigneur chambellan (un chambellan est un gentilhomme chargé du service de la chambre d'un monarque ou d'un prince), et Hamlet, prince de Danemark, fils de feu le roi Hamlet et neveu du roi régnant Claudius.

 POLONIUS

Que lisez-vous là, monseigneur ?

 HAMLET

Des mots, des mots, des mots.

 POLONIUS

De quoi est-il question, monseigneur ?

 HAMLET

De calomnies, monsieur ! Ce coquin de satiriste dit que les vieux hommes ont la barbe grise et la figure ridée ; que leurs yeux jettent une ambre, épaisse comme la gomme du prunier ; qu’ils ont une abondante disette d’esprit, ainsi que des jarrets très-faibles. Toutes choses, monsieur, que je crois de toute ma puissance et de tout mon pouvoir, mais que je regarde comme inconvenant d’imprimer ainsi : car vous-même, monsieur, vous auriez le même âge que moi, si, comme une écrevisse, vous pouviez marcher à reculons.

 

Des mots, des mots, des mots…

 Lisant les discours politiques en cette période d'interminable campagne électorale (les élections législatives après l'élection présidentielle…), on ne peut que faire le lien entre ces derniers et Hamlet.

 Voici une liste, non-exhaustive et dans le désordre, des mots rencontrés : "Justice, réalité, social-libéralisme, fascisme, République, gauchisme, vérité, démocratie, peuple, équité, fascisme, islamo-gauchisme, nationalisme, égalité, gauche, écologisme, socialisme, communisme, et même "extrême-centre"…" Les mots qui ont les occurrences les plus fortes sont : démocratie et République.

 La démocratie ?

 Qui, aujourd'hui, oserait prétendre que nous ne sommes pas en démocratie ?

 L'article 2 de la Constitution de la Vème République dispose que le principe de la République est "gouvernement du peuple, par le peuple et pour le peuple". L'article 3 corrige un peu cette belle envolée lyrique en précisant que "La souveraineté nationale appartient au peuple qui l'exerce par ses représentants".

 Les constitutionnalistes de 1958 ont sans doute lu Siéyès entre la rédaction des articles 2 et 3, Sièyès qui déclarait le 7 septembre 1789 : "Les citoyens qui se nomment des représentants renoncent et doivent renoncer à faire eux-mêmes immédiatement  la loi : donc, ils n'ont pas de volonté particulière à imposer. S'ils dictaient des volontés, de ne serait plus cet Etat représentatif ; ce serait un Etat démocratique. Le peuple, je le répète, dans un pays qui n'est pas une démocratie (et la France ne saurait l'être), le peuple ne peut parler, ne peut agir que par ses représentants".

 Et pourtant, nous continuons de croire que nous sommes dans un Etat démocratique…

 La République ?

 Qui, aujourd'hui, oserait affirmer que l'Etat français n'est pas républicain ?

 L'article 2 de la Constitution du 4 octobre 1958 ne propose aucune définition de ce qu'est la République. Il est seulement mentionné que :

  • sa devise est "Liberté, égalité, fraternité"
  • son emblème est "le drapeau tricolore, bleu, blanc, rouge" et son "hymne national est La Marseillaise" (comme dans les meetings de Macron et Mélenchon)

 "Liberté, égalité, fraternité"…words, words, words…  La liberté, c'est la liberté de quelques-uns contre l'aliénation de l'immense majorité : la liberté des exploiteurs contre l'aliénation des exploités.  L'égalité, c'est celle qui existe sans doute entre celles et ceux qui appartiennent à la même classe ; mais les inégalités sont croissantes entre ceux qui possèdent tout parce qu'ils détiennent les moyens de production et ceux qui ne possèdent rien parce qu'ils n'ont que leur force de travail à vendre.  La fraternité existe bien entre les dépossédés de tout mais elle se transforme seulement en une vague charité bien-pensante de la part de ceux qui les ont spoliés.

 Et pourtant, nous continuons de croire que nous sommes dans un Etat républicain…

 Words, words, words…

 Il devient urgent de réinterroger les mots dont les définitions ne sont univoques et consensuelles que parce que l'on n'en débat jamais.  Réinstaurons la dispute, soumettons à la question les mots dont on nous dit que le sens est évident et déterminé sans ambiguïté.

 A défaut, je me demande si, comme une écrevisse, nous ne marchons pas à reculons.