Le 6 mai dernier, le Comité "Justice pour Mohamed" a organisé une soirée pour commémorer les 2 ans de la mort de Mohamed Gabsi. A cette occasion, trois mères sont venues témoigner des circonstances de la mort de leur fils présentée comme un suicide pour chacun d'eux. Les familles refusent cette version des autorités et exigent la vérité. Elles demandent, en vain pour l'instant, que justice soit faite. Robert Martin les a rencontrées pour EVAB.
Entretien avec Malika Benmouna
Malika Benmouna : Je suis la maman de Mohamed Benmouna, qui est décédé en garde à vue exactement à Chambon-Feugerolles dans la Loire près de St Etienne. Mon fils avait 21 ans. Il s'est fait interpeller sur son lieu de travail. On lui avait reproché des choses pas bien et il s'est retrouvé en garde à vue. Ensuite ils l'ont ramené à la maison, ils ont fait une perquisition, ils n'ont rien trouvé. Ils l'ont ramené au commissariat de Chambon. Nous la famille, on attendait le déroulement. Cela s'est passé le 6 juillet 2009. On attendait, on attendait...on reçu un coup de téléphone en fin de journée, mon mari a répondu. Ils lui ont dit, "votre fils est à l'hôpital au service réanimation". Mon mari me dit d'aller vite à l'hôpital. Comme je n'avais pas la voiture, c'est mon père qui m'a amenée. Quand je suis rentrée à l'hôpital, il y avait un mur de police avec à peu près 40 policiers. Je n'ai pas compris, je leur ai dit "c'est du cinéma tout ça ?Vous êtes là pour mon fils? Qu'est-ce qui se passe ? " Après j'ai commencé à comprendre, j'étais inquiète, je me suis dit "il y a quelque chose de grave s'il y a tout cela". A ce moment-là j'ai demandé à voir mon fils. On m'a dit de patienter. Avant de rentrer dans la chambre de réanimation, j'ai vu le médecin-chef sortir pour discuter avec le chef de la police. Ils se sont mis à part, de côté pour discuter ensemble pratiquement 5 à 10 mn. J'attendais, j'attendais ! C'était long, je faisais les cent pas, je disais "je veux voir mon fils". Quand je suis rentrée dans la chambre, mon fils était tout bandé, des machines, des tuyaux. Là, j'ai compris que c'était très grave. Le médecin m'a parlé à part "votre fils a fait une tentative de suicide et on l'a retrouvé pendu dans sa cellule On a essayé de le réanimer". Je lui ai demandé quelles étaient ses chances de survie. Il m'a répondu qu'il y a avait 1% de chances, c'est à dire que cliniquement il était mort ! Mais moi, dans mon état, je n'ai pas compris. Ils ont déclaré le décès le 8 juillet mais pour moi mon fils est décédé le 6 juillet !
EVAB : Cela s'est passé en 2009, nous sommes en 2022, 13 ans après ! Que s'est-il passé depuis ?
Malika Benmouna : Nous la famille, on a porté plainte, contre les services de police, contre le commissariat de police où mon fils a été placé en garde à vue. On ne sait pas exactement ce qui s'est passé, ni comment. Pour nous, la famille Benmouna, on sait très bien que notre fils ne s'est pas suicidé, ne s'est pas donné la mort. C'est impossible ! Mais comment le prouver ? Je découvre le dossier tout doucement mais auparavant j'avais confiance dans la justice, à mes avocats et j'attendais le déroulement.
EVAB : Une information judiciaire a été ouverte ? Un juge d'instruction a-t-il été désigné ?
Malika Benmouna : On a pris un avocat et il a fait ce qu'il y avait à faire. Il n'y a pas eu de procès, l'affaire n'a pas été jugée parce qu'entre eux, la police des polices avec la juge et les policiers en question, ils ont considéré que c'est un suicide, ça s'arrête là ! Il n'y a pas eu de procès. Quand on a voulu aller plus haut, on nous a dit que c'était pas possible car au pénal c'est fini, il n'y a rien. On veut aller plus haut. C'est parti en cassation, résultat non lieu. On a fait appel à la Cour Européenne des droits de l'homme. Ils on repris le dossier en disant puisque ils ont dit non, nous aussi on va dire non et ça s'est arrêté comme ça ! Nous la famille, on refuse ! On veut continuer ! Maintenant, on est dans le déni parce que on ne sait pas ce qui se passe. C'est pas normal. Notre fils a été tué, assassiné volontairement ou involontairement, accidentellement ou un coup qui a été fatal. Nous ce qu'on veut, c'est une vraie justice et la vérité ! On sait très bien que notre fils ne s'est pas suicidé, comment cela s'est passé, on ne sait pas ! Tout ce qu'on sait c'est que notre fils ne s'est jamais donné la mort, ce n'est pas possible.
EVAB : Pour sa mémoire, rappelez-moi son prénom
Malika Benmouna : Il s'appelait Mohamed Benmouna. C'était un jeune homme, assoiffé de vie, qui adorait sa famille. Il était passionné de moto et il aimait la vie comme tous les jeunes. Il était en bonne santé et moi, la maman, sa maman, je continuerai le combat jusqu'à avoir la vérité, avoir justice pour mon fils, et pas que pour lui, pour tous les jeunes, pour tout le monde, justice pour tous !
Entretien avec Najet Kouaki
Najet Kouaki : Je suis la maman de Idir, mort au mitard de la prison de Lyon-Corbas le 9 septembre 2020. Le jour même, ils m'ont appelée et annoncée son décès. Nous la famille, on ne croit pas à leur version parce que ce n'est pas possible qu'un détenu se suicide à deux semaines de sa sortie. C'est impossible ! On a fait des recherches et des appels à témoins. Une vidéo est sortie, diffusée par un détenu qui a expliqué les circonstances de la mort de mon fils. Il a raconté que ce jour-là, les gardiens de la prison sont rentrés chez un autre détenu. Ils l'ont tabassé. Idir, mon fils, hurlait pour qu'il le lâche. Ils ont lâché l'autre détenu et ils sont partis chez mon fils. Et depuis, plus de nouvelles ! L'autre détenu a essayé d'appeler Idir pour le remercier et lui dire qu'il l'avait sauvé . "J'ai vu la mort venir et ton fils hurlait de l'autre côté" m'a-t-il dit. Il a appelé Idir par la fenêtre et quand il est sorti du mitard, il cherchait après Idir. Les autres détenus lui ont dit qu' Idir était mort. Il a demandé quel jour et il a dit que ce n'était pas possible. Il a fait appel au chef du bâtiment et lui a expliqué qu'Idir ne s'est pas suicidé, que ce sont ses collègues qui l'ont tué. Le chef du bâtiment lui dit "ne t'en fais pas, je vais faire le nécessaire". Le jour même, ils l'ont mis au mitard ! Ils ont dit comme quoi ça t'apprendra de fermer ta bouche. Il a fait trente jours de mitard. On a fait une marche blanche pour honorer mon fils et soutenir Yacin. Ce jour-là, apparemment, ils sont rentrés chez Yacin, cagoulés, ils l'ont tabassé et transféré dans une autre prison. Et là rebelote ! Trente jours de mitard encore. En tout il a fait 90 jours de mitard, pour rien, parce qu'il a ouvert sa bouche et il ne fallait pas ! Après 90 jours, ils l'ont enfermé 6 mois à l'isolement.
EVAB : Comment l'avez-vous appris et que vous a-t-on dit ?
Najet Kouaki : On m'a appelée à 20h30 pour m'annoncer le décès de mon fils. En fait quand elle m'a appelée, elle m'a dit "Madame c'est Corbas, je vous appelle pour vous annoncer une mauvaise nouvelle". Quand elle a dit mauvaise nouvelle, j'ai tout de suite compris. Elle n'allait m'annoncer que mon fils n'allait pas bien ou qu'il ne voulait pas manger. J'ai compris que c'était grave.
EVAB : Une action judiciaire est en cours ?
Najet Kouaki : On a déposé une plainte contre la prison. J'ai rendez-vous la semaine prochaine avec un juge d'instruction. On est là, à Béziers, pour soutenir Houda Gabsi, la sœur de Mohamed, montrer qu'on est solidaires et on ne lâchera pas ! On est venus nombreux avec plusieurs familles. J'espère que justice soit faite. Notre but, c'est avoir une vraie justice comme ça on ne lutte pas pour rien. Déjà pour sauver d'autres jeunes et sauver d'autres mamans qui pleurent comme nous, comme moi personnellement. Je suis parmi des centaines de mamans qui pleurent leur fils.
EVAB : Pour sa mémoire, rappelez-moi son prénom
Najet Kouaki : Il s'appelait Idir et il avait 22 ans.
Entretien avec Nadia El Habdani
Nadia El Habdani : Moi je suis la maman de Bilal qui est mort à Marseille. Il est parti deux jours à Marseille. Il était bipolaire, reconnu à 79% invalide et il a voulu nous prouver qu'il était autonome. Il est donc parti à Marseille passer deux jours de vacances. Quand il est arrivé, il a pris deux nuits d'hôtel. Le premier jour, il a profité de tout Marseille, de tout ce qu'il avait à faire, de la plage et a acheté des cadeaux pour sa fiancée. Le lendemain, il a voulu rentrer. Il a appelé son père en lui disant qu'il allait demander qu'on lui rembourse la nuit d'hôtel, ce qui a été fait et puis qu'il rentrait. Vers 14 heures, on n'arrêtait pas de l'appeler, il ne répondait pas. Quand on lui a remboursé sa nuit d'hôtel, il a jeté les 80€ à un pauvre qui faisait la manche. Ensuite, il est monté dans sa chambre pour faire sa prière avant de la quitter. En faisant sa prière, il a dit trois fois "Allahou Akbar". Une femme de ménage l'a entendu, est descendue en disant qu'il y avait un terroriste dans l'hôtel. Du coup, ils ont appelé la police qui a arrêté mon fils.
Une amie de Nadia qui l'accompagne : A partir du moment où il a décidé de rentrer c'est qu'il était en panique et qu'il se sentait très mal. Nous, on comprend avec le recul, avec l'étude du dossier que Bilal était en décompensation psy et qu'en fait il était pris de panique. Il a demandé le remboursement de sa chambre et, en partant, il a laissé la moitié de ses affaires dans la chambre. Il a tagué, graffé avec des textes arabes, des mots d'amour, des mots de colère. Enfin, un ado de 20 ans ! Pour se calmer, Bilal avait l'habitude de prier et il a été entendu justement par la dame de ménage. Il a donc été arrêté pas très loin de l'hôtel, torse nu, en décompensation psy totale, en panique, en souffrance. Il a été arrêté à ce moment-là pour apologie du terrorisme. Accusation qui a disparu quand il est passé en comparution immédiate où il est simplement accusé de dégradations d'un bien appartenant à autrui et outrages. Donc toute l'accusation du début ne tient plus quand il passe en comparution immédiate et disparaît totalement. On voit bien que le juge comprend qu'il a affaire à quelqu'un qui est en décompensation psy. On le voit dans tout le temps de la garde à vue, sur les nombreuses auditions où les agents, les flics, le proc, le service social du tribunal, tout le monde parle de propos incohérents d'un jeune homme qui est très agité et qui paraît en souffrance psy.
EVAB : Il passe donc en comparution immédiate, il est condamné à quoi exactement ?
Nadia El Habdani : Il n'est pas du tout condamné. Il est 23h et le juge ordonne qu'il soit revu par un psychiatre...
Une amie de Nadia qui l'accompagne : .... pour se représenter dans un mois avec une expertise psychiatrique. Mais en attendant le prochain procès, Bilal est incarcéré aux Baumettes.
EVAB : Et là, qu'est-ce qui se passe ?
Nadia El Habdani : En fait, il est rentré après 23h et on le retrouve mort dans sa cellule le lendemain. Ils m'ont dit qu'il s'est suicidé. On m'a averti le lendemain à 4 heures du matin, en me disant que mon fils était décédé. Ils ne savaient pas du tout pourquoi. Ce n'est même pas Marseille qui m'a avertie mais la police de Vienne parce qu'on habite à Vienne. J'attends 8h30 pour appeler tous les services concernés, en fait le tribunal et le commissariat qui l'ont arrêté. Ils se renvoyaient tous la balle en disant qu'ils n'étaient au courant de rien, qu'ils ne savaient pas. A partir de là, on a contacté un avocat qui s'est chargé de tout. On s'est déplacés à Marseille, dans un commissariat où il a soi-disant été en garde à vue. Là-bas, ils n'ont rien voulu nous dire
EVAB : Vous avez porté plainte ?
Une amie de Nadia qui l'accompagne : classement sans suite puis non-lieu et re-confirmation du non-lieu en appel. Nous nous sommes adressés à la Cour de Cassation pour faire un appel par rapport à la décision du non-lieu qui a été rendu en juillet 2020. C'est très très récent.
Nadia El Habdani : Ce que je tiens à dire c'est qu'aujourd'hui ça va faire 5 ans au mois d'août et on ne m'a toujours pas rendu tous ses effets personnels. Quand mon fils est décédé, ils ont mis un mois pour me rendre son corps pour que je puisse l'enterrer, la veille de son anniversaire.
EVAB : Il y a eu une autopsie ?
Nadia El Habdani : Oui et on a eu accès au rapport médico-légal. C'était trop dur pour moi de le lire.
Une amie de Nadia qui l'accompagne : Au bout d'un moment, à force de batailler pour avoir les éléments du dossier mais on y est arrivé. Cela date quand même de 2017 donc ils prennent beaucoup de temps pour ça. Dans cette affaire, c'est le cas d'une personne en souffrance psy et ce n'est pas pris en considération, ni par la police ni lors de la garde à vue, ni lors du procès ni lorsqu'il arrive aux Baumettes. En fait, personne ne met en place ce qui doit être mis en place par la loi par rapport à la prévention des suicides. Autant l'Etat autant l'administration pénitentiaire sont coupables de négligences.
EVAB : En sa mémoire, vous nous dites qui était votre fils ?
Nadia El Habdani : Il s'appelait Bilal El Habdani. Il y a une page Facebook qui s'appelle "Vérité et Justice pour Bilal". C'était un enfant très très gentil. Ce n'est pas parce qu'il est décédé que je vais dire cela mais il était très serviable, qui pensait aux autres en se laissant de côté. Il aimait bien servir les gens.
Reportage sur la soirée du 6 mai organisée par le comité "Justice pour Mohamed" à écouter sur Radio Pays d'Hérault ICI (à partir du 12 mai)