(A relire) « Le mouvement national n’a jamais été un soulèvement. Les rebelles étaient et restent les rouges. »
Général Franco, premier anniversaire du coup d’État du 18 juillet 1936
Une fois toute l’Espagne conquise, début avril 1939, la guerre contre la République continue par d’autres moyens. Non sur le front des batailles, mais dans les tribunaux militaires, les prisons, les camps de concentration, les bataillons de travail, la traque des exilés.
Franco ordonne le châtiment de ceux qui se sont rendus sur le littoral oriental, la purification des provinces qui viennent de tomber, la répartition de centaines de milliers de prisonniers dans les bataillons de travail. L’institutionnalisation à long terme de la victoire de Franco exige que le mécanisme de la terreur d’État fonctionne à la perfection pour protéger et superviser l’anéantissement initial. Pour cette raison, la loi martiale déclarée en juillet 1936 ne sera pas abrogée avant 1948.
Pour le nouveau « Caudillo » d’Espagne : « l’esprit juif, qui a permis l’alliance du grand capital avec le marxisme, ne peut pas être anéanti en un jour et bat encore dans beaucoup de cœurs ».
Le système judiciaire répressif mis en place après le 1er avril 1939 emploie à la fois la machine administrative et le cadre pseudo légal élaboré tout au long de la guerre. Tout délit de « sectarisme politique », en clair une opposition, est considéré comme un crime de rébellion militaire.
Le sophisme sous-tendant cette fiction juridique est que l’armée a légitimement pris le pouvoir les 16 et 17 juillet 1936 (la veille du soulèvement militaire) et que défendre la République est une forme de rébellion. Toute activité politique au nom des partis de gauche ou des syndicats est assimilée au « soutien à la rébellion militaire républicaine » et fait l’objet d’une condamnation rétrospective au motif qu’elle aurait provoqué la reprise en main par l’armée.
L’absurdité de ces déclarations est soulignée par l’auteur de la Constitution républicaine, Luis Jimenez de Asua, avocat pénal distingué, lorsqu’il qualifie de « rébellion inversée » l’accusation de rébellion militaire, « crime » pour lequel l’accusé recevra une « sentence vice-versa ». Le ministre de l’Intérieur de Franco parlera rétrospectivement de « justice à l’envers ».
Dans les faits, des tribunaux spéciaux sont établis pour juger ceux qui semblent dignes de conserver leur poste. Dans la Catalogne occupée de l’après-guerre civile, 15 107 fonctionnaires sur 15 860 perdent leur emploi.
À mesure que le territoire tombe aux mains des rebelles et surtout à la fin de la guerre, les prisonniers sont parqués dans des camps, fréquemment battus et torturés pour révéler le nom d’autres républicains. On enquête dans leur ville d’origine. Si le rapport est négatif, les responsables du camp renvoient en général le prisonnier chez lui pour une enquête approfondie et de nouvelles enquêtes.
Un rapport révèle l’échelle industrielle du travail effectué dans ces tribunaux spéciaux. Pour la seule année 1939, dans la ville de Grenade 5 500 dossiers sont jugés, 400 accusés sont condamnés à mort et plus de 1000 à la prison à perpétuité. Entre 1939 et 1959, 1001 personnes au total sont exécutées à Grenade après un procès militaire.
Dans la province d’Albacete entre 1939 et 1943 plus de 1000 républicains sont exécutés après procès et au moins 573 meurtres extrajudiciaires sont commis par des phalangistes. 291 meurent dans des prisons surpeuplées.
Dans les 3 provinces de la région de Valence (Castellón, Valence et Alicante) plus de 15 000 personnes sont derrière les barreaux. Fin 1939, après interrogatoire il n’en reste plus que 7 610 les autres ont été exécutées. 1 165 détenus meurent dans les années qui suivent l’occupation franquiste. Avec plus de 4 700 personnes exécutées, ces chiffres représentent en pourcentage le double de la répression en Catalogne.
Cette différence s’explique par la fuite de centaines de milliers de victimes potentielles qui quittent la Catalogne pour la France à partir de la fin janvier 1939.
Le 27 août 1940, pour parfaire sa vengeance, Franco exige du maréchal Pétain l’extradition sans délai de 636 personnalités républicaines résidant en France. Une bonne partie d’entre elles seront livrées aux franquistes par la Gestapo pour être exécutées.
Dans cette folie répressive, le tribunal régional spécial d’Albacete n’a traité que 9, 25 % des dossiers ouverts, celui de Madrid 15,51%. La loi est modifiée en février 1942 pour limiter la surcharge des tribunaux. En avril 1945 le régime déclare que le travail du tribunal est achevé. Plus aucun dossier ne sera ouvert, mais il en reste 42 000 en suspens.
Finalement, en 1966, un pardon général est annoncé pour les délits relevant des tribunaux spéciaux.
Les républicains espagnols incarcérés, accusés, prisonniers auront dû attendre 30 ans après le soulèvement pour retrouver un semblant de dignité.
Dès le 15 août 1936, Mola avait confié à son secrétaire, José Maria Irribarren : « la prison doit être un lieu d’expiation, un cimetière des vivants ».
C’est ce que Franco a fait, les prisons et les camps où étaient détenus des centaines de milliers de républicains ont transformé pendant 30 ans l’Espagne en une gigantesque prison.
Le ministre franquiste de la Justice admettra en 1954 qu’il y avait plus de 270 719 républicains détenus en 1940, plus de 100 000 attendaient d’être jugés et plus de 150 000 travaillaient dans des « colonies pénales militarisées ».
Pour réaliser ce travail de mémoire sur la réalité de la reconquête franquiste, je vous propose des extraits de lecture de l'excellent livre de Paul Preston "Une guerre d'extermination, Espagne 1936/1945" paru en livre de poche aux éditions texto en 2019.
Cet extrait est le dernier d'une série de 8 que vous pouvez retrouver sur le site dans la rubrique "Société"