Du 5 au 18 octobre 1934, dans les Asturies, les mineurs sont à la pointe du soulèvement suite à l'appel à la grève générale lancé dans la nuit du 4 au 5 octobre 1934. La force de ce mouvement réside dans le fait que les partis et les syndicats sont unis, l’UGT (socialistes) et la CNT (anarchistes) forment l’UHP («Unis Frères Prolétaires»).
La résistance et l’organisation du mouvement amènent l’édification d’une « commune » asturienne. Elle prendra en main tous les aspects de la vie sociale, industrielle et politique. Elle ne dura que 15 jours !
Des villes et des villages vécurent et combattirent sous cette bannière UHP, attendant, en vain, que le reste de l'Espagne se soulève. Depuis des semaines, dans tout le pays, le Parti Socialiste espagnol avait menacé d'une riposte par «la révolution sociale» si des ministres d'extrême droite entraient dans le gouvernement de la République. Quand le Premier ministre annonça le 4 octobre la constitution de son gouvernement avec trois ministres de la CEDA, la grève générale fut déclenchée.
Dans la plupart des grandes villes du pays, la direction du Parti Socialiste tergiversa et ne voulut pas lancer les travailleurs au combat. Cette grève fut donc un échec sur le plan national! Mais dans les Asturies, de nombreux militants de l’Alliance Ouvrière avaient pris au sérieux l'idée qu'il fallait répondre par l'insurrection au coup de barre à droite que représentait le nouveau gouvernement.
L'appel à la grève générale est donc lancé par télégramme depuis Madrid dans la nuit du 4 au 5 octobre 1934.
L'insurrection débute le 5 octobre
Aux premières heures du 5 octobre, les mineurs de Mieres et de tout le bassin minier ainsi que les ouvriers métallurgistes se lancent dans l’action sous la direction d’un Comité provincial révolutionnaire.
Armés de quelques fusils, de carabines de chasse, d'ustensiles de labour et de cartouches de dynamite, ils se lancent à l'assaut des casernes de la Garde Civile et des Gardes d'Assaut. Cela se fit de façon organisée. Avant l'insurrection, un comité provisoire avait été nommé et les combattants répartis en groupes de trente hommes pourvus d'un chef.
Mieres avait donné l'exemple. Dans les heures qui suivirent, toutes les casernes de la zone minière tombèrent. Le soir du 5, des comités révolutionnaires s'étaient formés dans toute la région.
En 24 heures, tous les postes de la Garde Civile de la zone minière sont neutralisés. Sama de Langreo, Mieres, Pola de Lena, Trubia, Lugones, Pola de Laviana, Ujo, Vega del Rey, Carbayin, Pola de Siero et La Felguera, où sont institués des comités révolutionnaires locaux, deviennent les bastions de la révolution.
Dès le 6 octobre, le quotidien communiste L’Humanité relate les premières tensions.
« D’après des nouvelles de source particulières, venues d'Oviedo, le mouvement de grève générale revêt dans les Asturies, un caractère nettement révolutionnaire. Les communications entre Oviedo et Madrid sont assez difficiles en ce moment et il est impossible d'obtenir des précisions. Dans le bassin minier des Asturies, le travail est complètement arrêté et les chemins de fer ne circulent pas. À Oviedo, des mitrailleuses ont été mises en batterie sur la place de la République et des troupes sont attendues venant d’Astorga ; on attendrait même des avions. II y aurait 7 tués et une trentaine de blessés au cours des engagements. »
Le très conservateur La Croix dénombre les premiers morts, relayant le communiqué du gouvernement espagnol qui affirme – à tort – que le mouvement est déjà maté.
« À Mieres, la police a subi des pertes considérables. On parle d’une dizaine de gardes d’assaut morts. Des troupes sont parties d’Oviedo, de Valladolid, Palencia, Léon et autres garnisons pour tâcher de réduire les rebelles. Ceux-ci ont fait prisonniers les gardes d’assaut et les gardes civils. Ils se seraient d’abord emparés des gardes civils, puis, les faisant marcher devant eux, ils auraient ensuite assiégé le poste des gardes d’assaut. La fusillade entre policiers et révoltés a duré huit heures. Les révolutionnaires auraient au moins dix tués. […] Au commencement de l’après-midi, le ministre de l’Intérieur a annoncé à la presse que le mouvement révolutionnaire des Asturies était complètement terminé, et qu’il n’y a pas à craindre de nouveaux troubles, étant donnée l’importance des forces gouvernementales sur les lieux. »
En réalité, la révolte n’en est qu’à ses premiers jours. Rapidement, les ouvriers s’organisent non seulement pour riposter, mais aussi pour former leur propre gouvernement révolutionnaire. Ils créent des conseils dans le but d’agir démocratiquement et en commun sur leur condition, tout en résistant militairement aux forces gouvernementales.
Le gouvernement n'a pas tardé à réagir en décrétant l'Etat de guerre dès le 6 octobre
Partis de Mieres, des colonnes de milices ouvrières se forment et marchent sur Oviedo, la capitale provinciale. Malheureusement le prolétariat d’Oviedo, freiné par ses dirigeants afin de respecter la consigne initiale de grève générale “pacifique”, n’entra pas en action jusqu’à ce qu’arrivent les colonnes minières. Ce retard, qui a donné le temps aux forces de l’ordre de s’organiser défensivement, a mobilisé une grande partie des énergies dans la lutte pour le contrôle de la ville.
Manuel Grossi* témoigne : « A notre grande surprise, les travailleurs de la capitale restent passifs. Voilà déjà 30 heures que nous soutenons une lutte victorieuse dans le basin houiller et les ouvriers d'Oviedo ne semblent informés de rien. Cela nous laisse supposer que sans notre marche sur la capitale rien ne s'y serait passé »»
Les mineurs se dirigent donc vers la capitale, Oviedo, à pied ou en camion et, à l'aube du 6 octobre, mal armés, ils se lancèrent à l'assaut des troupes gouvernementales. Ils étaient en position d'infériorité par rapport aux bataillons de l'armée et de la police, mais ils avaient ce qui manquait à ceux-ci : l'enthousiasme et le courage que donne la conviction de lutter pour changer la société.
A quatre de l’après-midi, et après une lutte acharnée la mairie d'Oviedo tombe entre les mains des travailleurs révolutionnaires.
Mieres continue d'être le centre de l'insurrection. Là s'y organisent les groupes qui partent pour le front dans les meilleures conditions possibles.
En ce 7 Octobre, après deux jours de combats, l'ensemble de la Province des Asturies est aux mains des insurgés hormis Gijon et une partie de la capitale Oviedo. A Trubia, ils se sont appropriés l'usine d'armement. A La Manjoya et à La Felguera ils ont saisi les stocks d'explosifs en particulier de dynamite. On distribue les mitrailleuses récupérées sur les forces gouvernementales vaincues. On répartit les fusils entre les meilleurs tireurs. Les autres sont dotés de bombes et de cartouches de dynamite. Les mineurs sont habitués à l'employer et manie avec une habileté qui remplit de terreur l'ennemi.
Le 7 octobre les révolutionnaires contrôlent plusieurs centres vitaux d'Oviedo - l’Hôtel de ville, le quartier général des Carabiniers, la centrale télégraphique, etc. Dans l’importante usine d’armements Trubia, les ouvriers se joignent au mouvement et participent à son occupation. Malgré l’occupation des usines Trubia et des stocks de fusils, les révolutionnaires tentent de prendre la caserne militaire principale où sont entreposés les stocks de munitions. Les 30 à 40.000 insurgés asturiens se sont donc retrouvés avec des milliers de fusils souvent inutilisables, faute de munitions adéquates ou en quantités suffisantes. Une carence grave qui ne sera comblée, en partie seulement, qu’avec l’emploi massif de la dynamite.
Durant ces combats, beaucoup tombèrent en avançant à poitrine découverte face aux mitrailleuses. Mais Oviedo sera prise, grâce notamment à l'action des dynamiteurs qui entrèrent dans l'histoire du mouvement ouvrier.
Au cours des combats, dans les villes et villages aux mains des insurgés, le ravitaillement des colonnes, les services sanitaires et la distribution des vivres à la population ainsi que la production dans les mines et les entreprises sont assurés sous contrôle ouvrier.
A Avilès, autre port industriel, les insurgés coulent l 'Agadir » dans le canal qui donne accès au port empêchant les navires de guerre d'accéder au port.
Dans l'autre grande ville asturienne, le port de Gijon, la situation semble se dérouler favorablement pour les insurgés. Mais dans la rade se trouve le croiseur « Libertad » qui bombarde les quartiers populaires de la ville faisant de nombreuses victimes. Ce bombardement signe la fin de la résistance et les troupes gouvernementales finirent par l'emporter, ouvrant ainsi la voie maritime aux troupes de répression.
La récupération des Asturies va devenir une priorité nationale et mobiliser de nombreuses troupes, sur plusieurs fronts pour réprimer cette insurrection insupportable pour le pouvoir en place !
* Manuel Grossi - L'insurrection des Asturies - EDI Editions
(Suite lundi prochain)