Chers lecteurs, vous savez que j’aime bien terminer en général ma chronique par un antidote à cette période morbide : un film, une chanson. Une fois n’est pas coutume, je vais commencer par l’antidote, il sera même au cœur de cette chronique. Je vais vous parler d’Algues vertes, l’histoire interdite, cette enquête menée par la journaliste Inès Léraud présentée à travers une bande dessinée de Pierre van Hove.
Inès Léraud mène en effet depuis 2015 une enquête sur le système agro-alimentaire breton, l’un des plus anciens et importants en France. Or la Bretagne a connu à partir de 1971 des marées vertes. Ces algues vertes qui prolifèrent sur les côtes développent un gaz toxique responsable d’au moins 40 morts animales et 3 humaines en Bretagne. Il a fallu attendre 1999 pour que soit un tantinet reconnu après une longue période de déni un lien entre la production agricole intensive et la pollution des eaux par le nitrate qui a pu les rendre impropres à la consommation.
Toute l’histoire commence avec le plan Marshall quand à la sortie de la Seconde Guerre mondiale la France se détourne de ses partenaires agricoles traditionnels de l’Est et importent les méthodes états-uniennes agricoles. Les terrains agricoles sont remembrés en grandes parcelles exploitables par des machines et malgré les luttes le paysage est modifié : on se met à apercevoir les clochers des églises une fois les haies, talus, rideaux d’arbres détruits. Des rivières sont comblées et asséchées. Dans le même temps apparaît l’élevage hors-sol de porcs notamment nourris au soja et maïs OGM arrosés de pesticides. Pesticides et engrais peuvent alors se déverser tranquillement, l’azote se transformant en nitrates, jusqu’à la mer et fertiliser les algues vertes. Le taux de nitrate depuis les années 60 a été multiplié jusqu’à 10 en Bretagne.
La mise en place de ce système productiviste n’est rendue possible que par la destruction du monde paysan. Algues vertes montre la collusion entre les pouvoirs publics et les industriels. Le recruteur des nouvelles usines Citroën à Rennes par exemple suggéra au préfet de ne donner des aides qu’aux agriculteurs possédant plus de 20 hectares. L’entourloupe permit de fournir 70% de la main d’œuvre de la nouvelle usine. On sait que les paysans français étaient 7 millions au moment de la Libération. Ils ne sont aujourd’hui qu’un demi-million.
Parmi les agriculteurs bretons seuls 1 % sont indépendants. Les 99% autres sont intégrés à des complexes qui se présentent comme des coopératives, mais qui appartiennent en réalité à des multinationales. Ils sont pieds et poings liés à un système dont ils dépendent pour se fournir les engrais jusqu’à la transformation des produits et leur distribution. Des intérêts énormes sont en jeu qui dépassent largement le simple souci de ne pas nuire à l’image du monde agricole et touristique de la Bretagne et leurs tenants n’hésitent pas à avoir recours à des méthodes d’intimidation dès lors que le système est dénoncé.
Les aides publiques pour lutter contre la pollution sont détournées de leur objectif et permettent au contraire d’agrandir les exploitations et d’augmenter la pollution. Les plans Algues vertes censément montrer la prise en compte de la gravité du phénomène par les pouvoirs publics cachent mal la main mise « d’un des lobbys les mieux structurés d’Europe », nous dit Inès Léraud. On trouve dans ce lobby par exemple des noms comme Jean-Yves Le Drian, l’actuel ministre des Affaires étrangères, ancien membre du Parti socialiste et ancien président du Conseil régional de Bretagne, la seule région qui n’ait pas suivi l’alliance PS/EELV aux dernières élections. On comprend pourquoi… On trouve également le nom d’Olivier Allain, un important éleveur bovin, qui fut président de la très droitière Fédération départementale syndicale des exploitants agricoles et devenu conseiller à l’agriculture pendant la campagne présidentielle d’Emmanuel Macron.
Ce lobby est composé de différents groupes de pression opposés notamment à l’écotaxe, qui agissent par exemple dans un club parlementaire comme celui des Amis du Cochon financé par la FNSEA en France ou Breiz Europe à Bruxelles, au profit des intérêts de grandes surfaces comme Carrefour ou Auchan, d’industries comme Peugeot ou Hénaff (désolée pour les amateurs du célèbre pâté), de banques ou assurances comme le Crédit agricole ou Groupama. L’opa effectuée par ces groupes sur les grands médias jouent bien sûr aussi tout leur rôle. C’est pourquoi on ne s’étonnera pas de retrouver des noms comme Bouygues ou Bolloré.
Notons que ce système agro-alimentaire qui a détruit l’environnement et la paysannerie bretonne exporte « en masse des produits à très bas prix » comme 100 00 tonnes de lait en poudre infantile par an pour la Chine ou 30 000 tonnes pour l’Egypte, Taïwan et le Qatar. Le plus grave c’est qu’elle a ainsi détruit l’agriculture de pays du tiers-monde en face de laquelle elles ne sont pas concurrentielles. En même temps nous-mêmes mangeons des produits de meilleures qualités mais souvent importés comme 40 % de la volaille consommée en France.
La boucle est bouclée : un Bolloré dont l’œuvre a pour conséquence de détruire les moyens de subsistance des pays sous-développés fait la promotion des idées d’extrême droite en France dont le cheval de bataille consiste essentiellement à détourner la colère sociale sur les migrants. Vous voyez que je ne vous avais pas menti en parlant d’antidote. Alors allez vite vous procurer Algues vertes et commençons à parler de choses sérieuses : Comment allons-nous contrer ces destructeurs de la planète en Bretagne comme ailleurs ?