Le 28 octobre 1886, voilà exactement 135 ans, «La Liberté éclairant le monde» est inaugurée dans la liesse, à l'entrée du port de New York, par le président des États-Unis Stephen Grover Cleveland.
C'est la plus colossale statue jamais construite (46 mètres de haut et 93 avec le piédestal). Elle est l'œuvre du sculpteur Auguste Bartholdi.
Ce cadeau de la France aux États-Unis célèbre l'amitié franco-américaine.
Architecte et sculpteur, originaire de Colmar, Auguste Bartholdi noue une relation amicale avec le professeur de droit Édouard de Laboulaye dont il réalise le buste en 1866.
À ce moment-là vient de se terminer aux États-Unis la guerre de Sécession. Lors d'une soirée à laquelle est invité le jeune Bartholdi, Laboulaye lance l'idée d'un monument qui scellerait l'amitié entre les peuples français et américain. Il serait inauguré par exemple à l'occasion du centenaire de la Déclaration d'Indépendance, soit en 1876 !...
Mais l'idée reste en jachère jusqu'à la guerre franco-prussienne de 1870-1871.
Tandis que la France est encore sous le coup de la défaite, Édouard Laboulaye, devenu député républicain, se montre plus que jamais convaincu de l'utilité du monument. Il suggère à son ami de se rendre aux États-Unis pour tâter le terrain.
Dès son arrivée dans la rade de New York, à l'automne 1871, Bartholdi repère l'emplacement idoine pour son futur monument. C'est l'île de Bedloe, rebaptisée Liberty Island en 1956. Elle est visible de tous les arrivants et offre un point de vue à la fois sur le grand large et la cité.
Laboulaye et Bartholdi ont dans l'idée que le monument, d'un coût de 250.000 dollars (une somme colossale pour l'époque), soit financé par souscription, moitié par le peuple français et moitié par le peuple américain, le premier se réservant la statue et le second le piédestal.
Bartholdi rencontre à cette fin le président Grant, des sénateurs, des industriels et des journalistes. Mais ses interlocuteurs demeurent très réservés à l'égard du projet... Tout comme d'ailleurs les élus et les notables français qui penchent majoritairement pour une restauration de la monarchie et en veulent surtout aux Américains d'avoir soutenu la Prusse dans la précédente guerre.
En attendant que la situation se débloque, Bartholdi s'attelle à une commande publique destinée à rappeler le siège héroïque de Belfort en 1870-1871. Ce sera le Lion de Belfort.
Enfin, le régime politique bascule en janvier 1875 vers la République et le projet de statue recueille désormais les faveurs de l'opinion mais le temps presse.
Laboulaye fonde un Comité de l'union franco-américaine en vue de lever des fonds et Charles Gounod compose pour les généreux donateurs, à l'Opéra de Paris, un Hymne à la Liberté éclairant le monde.
Auguste Bartholdi reçoit le concours d'Eugène Viollet-le-Duc. L'architecte-ingénieur prescrit une peau composée de plaques de cuivre modelées par martelage sur des formes en plâtre. L'ensemble doit être monté sur une armature métallique, stabilisée par un remplissage en sable.
La fabrication peut commencer dans les ateliers de la rue de Chazelles, à Paris. Elle mobilisera jusqu'à six cents ouvriers.
Mais il est devenu illusoire d'inaugurer la statue pour le centenaire de l'indépendance américaine. À tout le moins, Laboulaye et Bartholdi veulent profiter de l'Exposition universelle de Philadelphie de 1876 pour sensibiliser l'opinion américaine à leur projet.
Présenté en avant-première, le bras droit et sa torche recueillent un très vif succès auprès du public et, grâce à une première collecte de fonds, on met à l'étude le piédestal. Il est confié à un architecte de renom, Richard Morris Hunt.
Comme les fonds manquent aussi pour la réalisation de la statue, Edouard Laboulaye présente une reproduction grandeur nature de la tête à l'Exposition universelle de Paris, en 1878.
Les visiteurs, impressionnés et séduits, souscrivent en masse et l'année suivante, le financement est bouclé avec plus de cent mille donateurs.
Mais Viollet-le-Duc décède l'année suivante, emportant dans la tombe les principes de montage. Bartholdi se tourne alors vers Gustave Eiffel (47 ans), un ingénieur déjà réputé pour sa maîtrise des structures en acier.
À l'opposé de Viollet-le-Duc, il conçoit une charpente métallique légère qui, tel le roseau de la fable, saura résister aux plus violentes tempêtes en pliant et en se déformant.
Dernier coup du sort : Edouard Laboulaye décède à son tour le 25 mai 1883. Bartholdi porte désormais le projet sur ses seules épaules.
Outre-Atlantique, le projet se délite. Les riches New-Yorkais le dédaignent et l'on n'arrive pas à recueillir les fonds pour l'achèvement du piédestal.
Alors se lève un sauveur inattendu, Joseph Pulitzer.
Né en Hongrie en 1847 et devenu le patron du New York World, il a inventé la presse populaire à scandale. Il multiplie les campagnes de presse en faveur du projet.
C'est un succès. Les dons, généralement modestes, affluent. Le financement est enfin bouclé avec cent mille dollars supplémentaires offerts par cent vingt mille donateurs.
À raison de 350 pièces dans 214 caisses, la statue de la Liberté est chargée sur une frégate et arrive à New York le 17 juin 1886. Quatre mois suffiront pour monter les cent tonnes de la structure et les quatre-vingt tonnes de l'enveloppe de cuivre.
Inaugurée à la veille de la grande vague d'immigration qui a vu débarquer à New York des millions d'Européens chassés par l'oppression et la misère, elle est devenue le visage de l'Amérique rêvée et de la Liberté.
Dès 1883 a été gravé dans le piédestal de «La Liberté éclairant le monde» un sonnet de la poétesse Emma Lazarus. Il s'adresse aux millions d'immigrants qui ont débarqué et pour lesquels la statue de la Liberté figurait l'espoir d'une vie meilleure :
Envoyez-moi vos fatigués, vos pauvres,
Envoyez-moi vos cohortes qui aspirent à vivre libres,
Les rebuts de vos rivages surpeuplés.
Envoyez-les moi, les déshérités, que la tempête m'apporte,
De ma lumière, j'éclaire la porte d'or !
Edouard Laboulaye et Auguste Bartholdi imaginaient-ils que leur idéal ferait le tour du monde, de Paris à New York et jusqu'à Pékin. C'est cette statue que les manifestants de la place Tien An Men, en 1989, ont reproduite en plâtre.
.. mais c'est une autre histoire !