Le 26 février 1885, voilà exactement 139 ans, prend fin la conférence de Berlin sur l'Afrique. Considéré par les Européens comme une terre sans maître, l'immense continent noir est partagé comme une vulgaire tarte aux fruits ... sans que les fruits aient leur mot à dire.
Pendant tout le 19ème siècle, l'Afrique fut le champ clos dans lequel s'affrontèrent les ambitions des grandes puissances européennes. La France, l'Angleterre et l'Allemagne s'efforcent chacune de contrôler le maximum possible de territoire africain.
Le Congo est l'objet de toutes les convoitises. Une dizaine d'années plus tôt, le roi des Belges Léopold II a organisé à ses frais une conférence de géographie à Bruxelles en vue de faire le point sur l'exploration de l'immense bassin du Congo, au centre de l'Afrique équatoriale. Le roi songe à rien de moins que de s'approprier et coloniser ce territoire. Mais les Français ont aussi des visées sur lui.
Plus au sud, les Britanniques et les Portugais sont en bisbille à propos de l'arrière-pays et des implantations portugaises d'Angola et du Mozambique... Les Allemands eux-mêmes commencent à s'intéresser à l'Afrique noire, avant tout pour des questions de prestige.
C'est dans ces conditions et à l'initiative de Bismarck que s'ouvre le 15 novembre 1884, à Berlin, une conférence internationale qui réunit les représentants de toutes les grandes puissances européennes, ainsi que ceux de l’Empire ottoman et des États-Unis soit au total 14 États. Son objectif est d’organiser le partage du bassin du Congo et, plus généralement, d’établir des règles pour la colonisation du centre de l’Afrique. Car si les Européens se sont depuis longtemps installés le long des côtes, le cœur du continent est encore presque totalement terra incognita et attise les convoitises. Pendant plusieurs semaines, des diplomates qui ne connaissent rien à l’Afrique et n’y mettront jamais les pieds vont y tracer des frontières, au nom du libre commerce et de la mission civilisatrice de l’homme blanc…
D'emblée, les participants se fixent de nobles objectifs comme le désenclavement du continent africain ou l'éradication de l'esclavage. Le représentant anglais prévient qu'il ne sera pas plus question de traiter du bassin du Niger, domaine réservé de l'Angleterre, que de celui du Sénégal, domaine réservé de la France. L'attention se focalise donc sur celui du Congo, pompeusement qualifié par Bismarck de «Danube de l'Afrique». La lettre d'invitation à la conférence prévoyant de traiter des «nouvelles occupations sur les côtes d'Afrique», les Anglais proposent d'édicter aussi des règles pour l'intérieur ! Mais l'ambassadeur de France fait observer que cela reviendrait à un partage de l'Afrique, ce qui n'est pas l'objet de la conférence ! Dont acte.
Après trois mois et demi et seulement huit réunions plénières, les participants signent, le 23 février 1885, « l'acte général» de la conférence. Cet acte définit des zones de libre-échange dans le bassin du Congo. Il proclame la liberté de navigation sur les grands fleuves africains, le Niger et le Congo. Il arrête aussi quelques principes humanitaires contre la traite des esclaves ainsi que le commerce de l'alcool et des armes à feu. Enfin et surtout, il reconnaît à Léopold II, roi des Belges, la possession à titre privé d'un vaste territoire au cœur de l'Afrique noire, qui sera baptisé «État indépendant du Congo» !
La France se voit reconnaître la possession de vastes territoires en Afrique de l'ouest. Le chancelier Bismarck espère, mais à tort, qu'elle se résignera ainsi à la perte de l'Alsace-Lorraine. Quant à l'Angleterre, elle s'aménage la possibilité de constituer un axe continu du Caire au Cap, de la Méditerranée à la pointe sud du continent.
Le principal bénéficiaire de la conférence de Berlin est donc le roi des Belges, qui a consacré sa fortune personnelle à l'exploration et à l'occupation de l'Afrique centrale et voit ses efforts récompensés. Son «État indépendant du Congo», avec son drapeau bleu avec étoile d'or au centre, est reconnu sans tarder par les États-Unis. Léopold II promet aux grandes puissances de l'ouvrir à leur commerce. Lui-même va s'efforcer de tirer de sa colonie un maximum de ressources au prix du travail forcé. À sa mort, il léguera le Congo à la Belgique mais celle-ci ne l'acceptera qu'à son corps défendant.
Malgré son importance pour le continent africain, la conférence de Berlin ne suscite qu'indifférence en Europe où l'opinion publique se désintéresse dans son immense majorité des conquêtes coloniales. L'acte final de cette conférence est significatif de la place que l'Afrique occupe dans le jeu de relations internationales. Il établit des règles que les puissances européennes se fixent à elles-mêmes. Sûres de la légitimité de leur action, elles ne se préoccupent pas de l'attitude des Africains, de leurs volontés et ne s'interrogent pas pour savoir s'ils acceptent ou non d'être soumis à la nouvelle loi coloniale.
L'Afrique reste un objet que les grandes puissances estiment pouvoir se partager et on peut s'interroger sur la situation actuelle de l'Afrique soumise au néo-colonialisme et aux appétits de nouveaux acteurs que sont La Chine et la Russie...
...Mais c'est une autre histoire !