Le 15 Janvier 1809, voilà exactement 215 ans, naît à Besançon, Pierre-Joseph Proudhon, d’un père garçon brasseur et d’une mère cuisinière.
Proudhon est un brillant élève. Il attire l'attention d'un enseignant par sa soif d'apprendre et est admis comme boursier au collège de Besançon où il se montre très doué pour les lettres classiques. En raison des problèmes financiers de sa famille, il doit abandonner ses études pour travailler comme ouvrier typographe pour contribuer à nourrir ses parents. Pourtant, l'Académie de Besançon lui attribue une bourse de 3 ans pour poursuivre ses études ce qui lui permet de passer son baccalauréat à 29 ans.
Proudhon mesure alors les écarts de classe et d’expérience qui le séparent des autres membres de son école. Il perçoit aussi les limites des tentatives de théoriciens libéraux de la Restauration et de la monarchie de Juillet pour asseoir la souveraineté sur les « capacités » supérieures des possédants.
C’est l’époque du suffrage censitaire : qui possède vote pour élire quelqu’un qui possède encore plus que lui. Face au droit inviolable et sacré de propriété, la réalité de la misère, celle du paupérisme, contredit les espoirs ceux qui cherchent, au même moment, à enraciner l’ordre social dans le droit civil des particuliers.
Proudhon publie en 1840 : Qu'est-ce que la propriété ? ou Recherches sur le principe du droit et du gouvernement, qui traite de la propriété comme une forme de spéculation. On en retient la fameuse formule «La propriété, c’est le vol» !
Passant en revue les différentes théories présentées jusqu'alors pour établir le droit de propriété, le jeune Proudhon les réfute l'une après l'autre, et conclut que la propriété est immorale, injuste, impossible !... Traîné devant la cour d'assises, il est cependant acquitté, les jurés n'ayant vraisemblablement pas conscience du caractère explosif du sujet.
Dès lors, Proudhon va poursuivre à Paris ses activités de journaliste, de théoricien de la révolution et d'activiste radical. Il établit un réseau de correspondants agitateurs et publie d'innombrables articles, manifestes, études sociales.
Confronté toute sa vie à des difficultés professionnelles, Proudhon milite contre le travail aliénant du capitalisme industriel naissant. Corrigeant sa pensée initiale, il dénonce principalement la propriété des outils de production et le fait que l'on puisse tirer un revenu de son capital sans être obligé de travailler. Il se montre par contre partisan de la propriété individuelle pour tous et exalte la cellule familiale, clé de voûte de la société.
Proudhon, confiant en la nature humaine, apparaît comme un lointain disciple de Jean-Jacques Rousseau. Il souhaite protéger l'individu de toute sorte d’abus de pouvoir et en vient à s’opposer à la notion d’État pour proclamer la prépondérance de la liberté. Cela fait de lui le premier théoricien de l'anarchisme... et un adversaire majeur des socialistes et de Karl Marx.
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Proudhon est élu en juin 1848 à l'Assemblée constituante de la IIe République. Il y réclame la création d’une banque nationale, capable de centraliser la finance ; la monnaie, gagée sur la production, n’y aurait qu’une valeur purement fondée sur la confiance (le franc est alors gagé sur l’or). Il réclame aussi la réduction des taux d’intérêt, d’escompte, et celle des loyers et des fermages. Après les journées de Juin, ces propositions lui valent le statut d’homme le plus caricaturé et diabolisé de son temps par la presse bourgeoise. À la tribune de l'Assemblée, ce «pauvre fils de pauvre», comme il se définit lui-même, plaide avec vigueur en faveur de la liberté et prend la défense des révoltés, ce qui lui vaut un blâme.
Le prince Louis-Napoléon Bonaparte (le futur Napoléon III) devenant président de la République en décembre 1848, Proudhon s'oppose immédiatement à lui. Le voici envoyé pendant trois ans en prison pour «offense au Président de la République». Qu’importe, il profite de son séjour en prison pour écrire tant et plus...
A sa libération, en 1852, il s’élève contre la concentration des richesses — liée aux concessions des chemins de fer et aux connivences des spéculateurs à la Bourse — entre les mains de quelques-uns.
Soulignons que le révolutionnaire Proudhon n'a pas poussé l'audace jusqu'à prôner l'émancipation des femmes et la libération sexuelle. Sa pensée demeure néanmoins d'une étonnante actualité et d'une étonnante actualité. Notamment compte tenu du climat de scepticisme face au fonctionnement du système démocratique dans les pays capitalistes avancés. Car il n’est pas certain que les intérêts des classes populaires et travailleuses soient aujourd’hui mieux « représentés » par les partis politiques qu’à l’époque de Proudhon...
L'année de sa mort, le peintre Gustave Courbet, qui fut son ami, réalise à partir de photos anciennes un portrait posthume, resté célèbre, qui représente Joseph Proudhon en 1853, dans la pose très symbolique de l'ancien ouvrier typographe en blouse, dans une attitude pensive, entouré d’écrits et la plume à portée de la main, en compagnie de ses chères filles. Cet autodidacte n’a cessé en effet d’observer, de s’interroger et d’écrire...
Son œuvre considérable fait de lui l'un des maîtres à penser de l'anarchisme, de l'autogestion, de la dialectique révolutionnaire et du fédéralisme. Son idéalisme inspirera également Jaurès et les socialistes français de même que les anarchistes russes, tel Bakounine, et même les promoteurs du fédéralisme européen...
Celui que Sainte-Beuve décrivait comme le plus grand prosateur de son temps, ou Georges Sorel comme le plus éminent philosophe français du XIXe siècle, ne trouve plus asile aujourd'hui que dans les librairies libertaires et sur les rayonnages d’érudits. A la différence d’autres penseurs et écrivains de la même époque — Karl Marx, Auguste Comte, Jules Michelet, Victor Hugo ou Alexis de Tocqueville —, les grandes maisons d’édition le dédaignent. On se demande bien pourquoi !
... mais c'est une autre histoire !
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