Le 8 mai 1945, voilà exactement 88 ans, le jour même de la victoire alliée sur le nazisme, de violentes émeutes éclatent à Sétif, en Algérie. C'est un lointain prélude à la guerre d'indépendance.

Les manifestants sont des Algériens de confession musulmane dont certains se sont battus en Italie, dans les troupes françaises, et qui ont contribué à abattre le fascisme. Ils souhaitent profiter de la victoire des forces alliées pour obtenir l'indépendance. Impensable pour la classe politique française, droite et gauche confondues, qui ne conçoit pas de se défaire de ses trois départements d'Algérie !...

Le 7 mars 1944, le gouvernement provisoire d'Alger a publié en signe d'ouverture une ordonnance qui octroie la citoyenneté française à 70 000 musulmans (l'Algérie compte à cette date près de 8 millions de musulmans pour moins d'un million de citoyens d'origine européenne ou israélite).

Mécontents de ce geste qu'ils jugent très insuffisant, le PPA  (Parti Populaire Algérien) de Messali Hadj et l'UDMA (Union Démocratique du Manifeste Algérien)  de Ferhat Abbas projettent un congrès clandestin qui proclamerait l'indépendance de l'Algérie. Ferhat Abbas fonde dès mars 1944 une vitrine légale: les Amis du Manifeste et de la Liberté.

L'année suivante, les deux grands leaders algériens se proposent de profiter de la liesse de la victoire pour brandir le drapeau de l'Algérie indépendante. Mais Messali Hadj est arrêté en avril 1945 et déporté dans le sud du pays puis au Gabon. Cette riposte des autorités françaises sème la consternation chez les musulmans.

Le 1er mai, une manifestation du PPA clandestin réunit 20 000 personnes à Alger, dans la rue d'Isly. Pour la première fois est arboré en public le drapeau des indépendantistes. La manifestation se solde par 11 morts, des arrestations, des tortures... et un afflux d'adhésions au PPA !

Le matin du 8 mai, jour de la capitulation de l'Allemagne nazie, une manifestation se reproduit à Sétif aux cris de « libérez Messali ». Les militants du PPA ont reçu la consigne de ne pas porter d'armes ni d'arborer le drapeau algérien mais un scout musulman n'en tient pas compte et brandit le drapeau au cœur des quartiers européens. La police se précipite.

Le maire socialiste de la ville, un Européen, supplie les policiers de ne pas tirer. Il est abattu de même que le scout.

La foule, évaluée à 8 000 personnes, se déchaîne et 27 Européens sont tués dans d'atroces conditions. De nature apparemment spontanée, l'insurrection s'étend à des villes voisines du Constantinois: Guelma, Batna, Biskra et Kherrata.

Des renforts arrivent aussitôt de Philippeville et Constantine. Au total 3.700 hommes sont déployés dans la région de Sétif.

Dès le 9 mai, à Guelma, le sous-préfet André Achiary prend la décision imprudente de créer une milice avec les Européens et de l'associer à la répression menée par les forces régulières. Cette répression est d'une extrême brutalité. « Certains des miliciens se sont vantés d'avoir fait des hécatombes comme à l'ouverture de la chasse. L'un d'eux aurait tué à lui seul quatre-vingt-trois merles... », notera plus tard le commissaire Berger, dans son rapport sur les événements.

L'aviation elle-même est requise pour bombarder les zones insurgées. Officiellement, le drame aura fait un total de 103 morts chez les Européens, y compris les soldats, ainsi qu'environ 1 500 morts parmi les musulmans. La réalité est plus proche de 2 500 à 6 000 (chiffre contesté par le  gouvernement algérien actuel qui parle même de 45000 victimes). Après la bataille, les tribunaux ordonnent 28 exécutions et une soixantaine de longues incarcérations.

Lucide malgré tout, le général Duval, responsable de la répression, aurait déclaré le 9 août 1945 dans un rapport aux Français d'Algérie: « Je vous ai donné la paix pour dix ans, mais si la France ne fait rien, tout recommencera en pire et probablement de façon irrémédiable ».

Le drame de Sétif et Guelma passe inaperçu de l'opinion métropolitaine. Celle-ci a la tête ailleurs du fait de la censure et surtout des événements qui se déroulent le même jour à Berlin.

Le général de Gaulle, dont le gouvernement n'a donné aucune directive à ses représentants sur place, consacre en tout et pour tout une ligne au drame dans ses volumineuses Mémoires de guerre en trois tomes.

Exception remarquable: Albert Camus, jeune directeur de Combat, en Algérie du 18 avril au 7 mai 1945, adjure le 15 mai la presse française de « refuser les appels inconsidérés à une répression aveugle » et dénonce le « sauvage massacre » du Constantinois, qui enténèbre les fêtes de la victoire. 

Les émeutes de Sétif consacrent la rupture définitive entre les musulmans et les colons d'Algérie et annoncent la guerre d'indépendance.

Il faut attendre 1947 pour qu'un statut soit accordé à l'Algérie.

Cédant aux injonctions des grands propriétaires pieds-noirs, le gouvernement français institue une Assemblée algérienne avec un double collège qui devait reproduire  la division de la société.

- Le premier collège représente les 950 000 Français du pays et quelque 45 000 musulmans.

- Le second collège, de même poids politique, représente les 8,5 millions autres musulmans,

Comme si ces distorsions et injustices démocratiques ne suffisaient pas, le travail de l'Assemblée algérienne est compromis dès le départ par le trucage du scrutin.... Autant d'injustices flagrantes qui portent en germe le conflit futur.

Ce même 8 mai en 1902, une éruption volcanique anéantit la ville de Saint-Pierre et ses 28 000 habitants, sur l'île française de la Martinique...

... mais c'est une autre histoire !

Version audio avec illustration musicale sur Radio Pays d'Hérault, à écouter ICI