C’est au nom de la souveraineté du peuple que Napoléon III a justifié la suppression des partis politiques. Les arguments employés sont pour cela particulièrement intéressants à rapporter.
Dès 1852 le ministre de l’Intérieur, Morny, pense que les comités électoraux vont créer des liens prématurés, des droits acquis qui vont gêner les populations et leur ôter toute liberté. L’existence même d’un organe intermédiaire de mise en forme du vote était visé, toute structure de ce type était suspectée de biaiser la volonté générale.
Une circulaire de 1857 répète avec force l’interdiction : « Vous ne tolérerez pas les organisations des comités électoraux. Tous ces moyens artificiels de propagande n’ont d’autre résultat que de substituer l’influence de quelques meneurs au bon sens impartial des masses. ».
Avec le scrutin de liste qui fonctionnait dans les années précédentes (sous la IIe République), il fallait en effet impérativement que se mettent en place des instances « privées » fondées sur la concertation pour élaborer des candidatures.
Avec Louis Napoléon aucune interface ne vient s’immiscer dans l’organisation d’un vote.
C’est dans ce cadre qu’une action en justice est intentée contre un groupe de journalistes et de notables en 1863. Ils s’étaient réunis pour coordonner les candidatures de l’opposition aux élections législatives.
Le procès eut un retentissement énorme, le procureur général dénonça une « administration extérieure » et une « corruption du suffrage universel ».
Face aux opposants, l’Empire avait sa réponse : la candidature officielle. Ouvertement choisi par les pouvoirs publics, le candidat officiel n’était pas l’homme d’un parti, mais le représentant du régime en tant que tel ; régime supposé démocratiquement institué. Sa nomination ne faisait donc aucune difficulté. Le pouvoir était légitimé à y procéder lui-même.
Le Second Empire fait le choix d’une politisation totale de l’élection en superposant l’État et la société. Cette fusion impliquait qu’il ne puisse exister aucune sorte d’espace public entre l’État et la société politique.
Cela conduisait du même coup à l’interdiction des libertés publiques (droit d’association, de réunion, de formation libre de partis, etc.).
Le bonapartisme invente de fait une constitution globale du politique qui n’a plus besoin pour s’exprimer d’aucun support intermédiaire.
Le bonapartisme incarne en cela une sorte de préhistoire du fascisme.
Le prochain épisode de cette série sera mis en ligne le 22 mai 2023.