Il vivait à Béziers depuis plus de treize ans dans un appartement sans fenêtre : deux pièces minuscules. Un tiers de sa vie en galère.
Il avait effectué une demande de titre de séjour après dix ans de présence en France. La demande avait été refusée, mais un recours devant le Tribunal Administratif avait permis d’annuler la décision de la Préfecture. Nous étions heureux de la décision du Tribunal…
Plutôt que d’accepter sa défaite, le Sous-Préfet de Béziers lui délivrait des attestations provisoires de séjour sans droit au travail, attendant la réunion d’une commission des titres de séjour qui n’était jamais saisie. Depuis deux ans et demi nous attendions cette convocation… Pourquoi Sanoussy n’avait-t-il pas été appelé depuis tout ce temps ?
Je suis allé chez Sanoussy pour réconforter Aminata, sa femme… Elle exprimait sa douleur et son chagrin et c’était beau de voir les femmes qui l’entouraient. La présence des autres, les liens humains sont essentiels.
Elle était triste mais aussi en colère que les secours ne soient pas arrivés assez vite.
Sanoussy gisait à même le sol, devant la porte d’entrée. Il ne fallait pas le toucher car son âge et sa mort “non expliquée“ nécessitaient un passage à l’institut médico-légal de Montpellier. Il fallait donc éviter son corps pour se rendre dans la minuscule pièce d’à côté pour embrasser Aminata.
Il a été difficile de descendre le corps de Sanoussy dans l’escalier bien trop étroit…
Je n’ai pu m’empêcher de penser à cette vie dans cet appartement sans fenêtre depuis treize ans, son travail intermitent le soir pour vendre des burgers et des pizzas, des chicken fries. Treize ans de fast food, ce n’est pas bon pour le coeur…
Je n’ai pu m’empêcher de penser à son rendez vous au centre de santé la semaine précédente : ils lui avaient conseillé de voir un cardiologue, mais Sanoussy n’avait pas pu obtenir de rendez-vous…
Je n’ai pu m’empêcher de penser à De Gaulle, à Alpha Condé, à Mamadi Doumbouya… La Guinée a été le premier pays à s’émanciper de la colonisation française en 1958… La France n’avait pas apprécié, détruisant tout avant son départ, dévissant les ampoules et emportant même les plans des égouts de Konakry. La France a tout fait pour déstabiliser le pays, allant jusqu’à l’inonder de faux francs CFA pour le déséquilibrer monétairement, armant tous les opposants pour favoriser un climat d’insécurité dans le pays…
Il y a un lien entre le Sanoussy de 2024 et le déni français des conséquences pourries de l’empire colonial.
Je suis inquiet pour Aminata qui n’a pas de papier ni ressource et pour Mamadou, leur fils, qui n’a que trois ans. Que vont-ils devenir ?