On apprenait en décembre que Robert Ménard est allé faire du gringue aux maires de Bassan et Coulobres qui ont accepté de rejoindre la majorité ménardienne à l’Agglo Béziers-Méditerrannée. Cette décision montre combien la montée de l’extrême droite en France ne s’appuie pas seulement sur la monopolisation médiatique, le relai d’une grande partie de la classe politique des discours lepéno-zemmouriens et la multiplication des violences ultra-droitistes contre des journalistes ou des militants. L’appel à une forme de real politik en constitue également un fer de lance.

Quelqu’un m’a dit récemment pour justifier la nécessité de composer avec une orientation politique que c’était le bulletin dans l’urne qui permettait de la changer. Mais ne pourrait-on pas affirmer exactement la proposition inverse : le jour des élections tout n’est-il pas joué ? Toute la place qu’on a concédée aux forces réactionnaires, tous les petits arrangements avec nos valeurs au nom du pragmatisme ne contribuent-ils pas aux résultats électoraux les plus dévastateurs ?

Dans une interview (1) de 2018 à la très traditionnaliste Radio Ciel Bleu le maire de Bassan, alors vice-président de l’Agglomération Béziers-Méditerranée sous la présidence de Frédéric Lacas, défend une ligne pragmatique.  Il partage l’opinion de certains de ses collègues que la mise en place des agglomérations a fait perdre du pouvoir aux maires, mais il pense le processus irrémédiable et exponentiel. Le maire, dit-il, deviendra à terme l’équivalent d’un maire d’arrondissement d’une grande ville. C’est à l’agglomération que les décisions vont être prises. De même la réforme fiscale qui a baissé la dotation globale aux communes et la disparition de la taxe d’habitation cherchent selon lui - et on lui donnera raison - à les pousser à se tourner vers l’agglomération.

 Alain Biola, le maire de Bassan, en se représentant en 2020 déclarait ne pas faire de politique mais œuvrer pour le bien commun. Dans la même interview de 2018 il dit son attachement à son action au sein de l’Agglo et parle de "fibre sentimental".  Cet homme maire depuis plus de 20 ans qui a eu des responsabilités importantes au sein de l’Agglomération Béziers-Méditerranée, notamment au niveau des transports, a dû sentir diminué  son champ d’action, quand Robert Ménard, nouvellement élu président a concentré les vice-présidences sur les municipalités faisant partie de sa majorité et privé l’opposition de délégations.  Il a fait partie des élus qui ont voté pour Frédéric Lacas et intègre alors le groupe d’opposition « Ensemble pour le biterrois ». La concentration des compétences dans les mains de Robert Ménard qui a été votée au dernier conseil communautaire de novembre 2021, après un premier transfert en juillet 2020, n’a fait qu’accroître cette concentration de pouvoir.

Pour justifier son ralliement à la majorité de Robert Ménard, Alain Biola le dit clairement dans le Midi Libre du 10 décembre : « J’ai envie de participer à la vie de l’Agglo, de participer aux décisions. » Et il fait un distinguo entre ses opinions et son travail d’élu : « Ce n’est pas une décision politique, je garde mon libre arbitre, mais au moins je saurai pour quoi je vote ». Au fond le maire de Bassan met en exergue le fait que les élus d’opposition sont totalement écartés des prises de décision communautaires voire de l’accès aux dossiers, ce qui constitue un déni démocratique et un détournement de l’institution. L’absence de transparence et le déficit démocratique de la politique de Robert Ménard ne sont plus à démontrer.

Les maires de Bassan et Coulobres ont ainsi cédé à une forme de chantage implicite. C’est ainsi que Gérard Boyer déclare « n’avoir pas « perdu son âme » et pris cette décision pour avoir les moyens qu’il n’avait pas « de faire de la politique » « pour (sa) commune ». Les deux maires vont retrouver des délégations, l’un à l’enseignement supérieur, l’autre à l’écologie. « Alliance de circonstances », dit Gérard Boyer.

Alliance de circonstances … À quelques mois de l’élection présidentielle cette real politik prend une signification symbolique importante. Qu’ils l’assument ou pas ces maires affaiblissent le peu de contre-pouvoir qui existe au conseil communautaire et donnent du poids supplémentaire au président de l’Agglomération, qui n’a eu de cesse d’utiliser le biterrois comme tremplin de la propagation des idées lepéno-zemmouriennes. Il n’est pas exclu qu’une certaine accointance idéologique existe. Quand le même journaliste de Radio Ciel Bleu demande à Alain Biola quelle est la plus grande difficulté qu’il rencontre dans son travail de maire, celui-ci évoque les difficultés d’intégration de populations déclassées qui vivent dans des logements sociaux non officiels dit-il, traduisez marchands de sommeil. Une « amélioration de ces habitats » – traduisez une augmentation des loyers- permettrait une « meilleure intégration » – traduisez la venue d’une population plus aisée.

Robert Ménard a salué ce ralliement comme celui de la « raison sur la politique ». C’est vrai que Robert Ménard ne fait pas du tout de la politique. Y’en a même qui disent qu’il n’est pas d’extrême droite. 

Arrivée au terme de ma chronique, je me dis, chers lecteurs et lectrices, que vous avez sans doute deviné quel sera mon antidote du jour à tous les renoncements.

"Y'a pas d'arrangement, pas de grimace
Juste le lendemain se regarder dans une glace"

(Y'a pas d'arrangement Zebda)

(1)  https://www.youtube.com/watch?v=iKeHj7bMFVI