Le 17 octobre 1961, voilà exactement 61 ans, à Paris, une manifestation pour protester contre le couvre-feu imposé aux Algériens est durement réprimée avec des morts et des milliers d'arrestations.
Sept ans après la « Toussaint rouge », trois ans après l'arrivée du général de Gaulle au pouvoir, l'indépendance de l'Algérie apparaît inéluctable. Pourtant, la France est plus perturbée que jamais par cette décolonisation qui n'en finit pas. La guerre s'est même transportée en métropole. Il n'y a pas de jour sans que des travailleurs algériens soient assassinés par des militants de factions rivales, pas de semaine sans que des policiers soient également assassinés.
Le général de Gaulle est depuis longtemps convaincu de l'intérêt d'abandonner l'Algérie. Il souhaite seulement que l'indépendance se fasse à moindre prix. Le 8 janvier 1961, par référendum, les Français votent massivement pour l'autodétermination des Algériens et des négociations secrètes s'engagent au plus haut niveau avec le FLN. La pierre d'achoppement est le statut du Sahara où l'on vient de découvrir d'immenses gisements de gaz.
Le 11 février 1961, désespérés par la tournure des événements, des partisans de l'Algérie française fondent à Madrid l'OAS (Organisation de l'Armée secrète) en vue de combattre le général de Gaulle qu'ils accusent de trahison. Cela n'empêche pas le gouvernement français et le GPRA (Gouvernement provisoire de la République algérienne) d'annoncer officiellement l'ouverture de pourparlers à Évian.
Dans la nuit du 21 au 22 avril 1961, à Alger, quatre généraux tentent de soulever les militaires et les pieds-noirs. Ce putsch d'Alger échoue piteusement en quatre jours.
Dans le même temps, pour ne rien arranger, alors que le pays vit sous l'état d'urgence, l'OAS multiplie les attentats à l'explosif, provoquant des blessés.
De son côté, la police, sous les ordres du préfet Maurice Papon, multiplie les perquisitions et les rafles avec pour objectif d'assécher les circuits de financement du FLN.
Le 5 septembre 1961 le préfet de police de Paris Maurice Papon annonce que les Algériens pris dans des rafles à la suite d'un attentat seront renvoyés dans « leurs douars d'origine ». Dès les jours et les semaines suivantes, plusieurs milliers sont internés dans des camps de fortune et quelques centaines renvoyés en Algérie.
Mais les syndicats de policiers réclament davantage de fermeté. Le 5 octobre 1961, Maurice Papon diffuse un communiqué qui demande (je cite) « aux travailleurs musulmans algériens de s’abstenir de circuler la nuit dans les rues de Paris et de la banlieue parisienne, et plus particulièrement de 20h30 à 5h30 du matin ». L'objectif est double : entraver les collectes de fonds du FLN auprès des travailleurs algériens, dans les cafés et les meublés mais aussi rassurer la police qui n'en peut plus des attentats.
La Fédération de France du FLN proteste contre ce couvre-feu discriminatoire qui, fait aggravant, conduit la police à interpeller les contrevenants en se fiant à leur apparence physique qui les désigne comme étant des Nord-Africains. La presse elle-même dénonce ce « contrôle au faciès », contraire aux droits de l'Homme et source de nombreux malentendus.
Le 10 octobre 1961, le préfet de police jette de l'huile sur le feu en déclarant aux obsèques du brigadier-chef Demoën, tué par le FLN, que « pour un coup porté, dix seront rendus ».
Dans le plus grand secret, le comité fédéral du FLN, établi à Cologne (Allemagne), appelle les 150 000 Algériens de la région parisienne à braver le couvre-feu en manifestant pacifiquement sur les Champs-Élysées et dans les beaux quartiers parisiens, en famille et sans armes, le mardi 17 octobre, à 20h30.
Le général de Gaulle donne carte blanche à Maurice Papon pour interdire la manifestation et la disperser par tous les moyens. Le préfet peut dire à ses hommes : « Désormais, vous êtes couverts ! » Les policiers ne se le font pas dire deux fois.
Une manifestation nocturne à deux pas du palais de l'Élysée et de l'Assemblée nationale, avec une police chauffée à blanc par les attentats dont elle a été victime et le blanc-seing du préfet de police, c'est le drame assuré !
Malgré l'interdiction, 20 000 à 25 000 Algériens des banlieues ouvrières, convergent vers le centre de la capitale, Le drame survient comme prévu. Prises de court, les forces de l'ordre, interpellent sans trop de ménagement les manifestants à la sortie des métros et les embarquent dans des cars vers les commissariats. La plupart se laissent appréhender sans protester. Il ne s'en produit pas moins des violences qui frappent de stupeur les témoins et les journalistes.
Mais c'est seulement dans les jours qui suivent que la presse en vient à s'interroger sur la violence des affrontements. L'Humanité est saisi pour avoir dénoncé la répression. Le Figaro lui-même, bien que proche du pouvoir gaulliste, dénonce des atteintes inadmissibles aux Droits de l'Homme.
La gauche, va s'emparer de l'affaire dans les mois et les années qui suivent.
Le bilan des manifestations des 17-20 octobre présenté par le ministre de l'Intérieur au Sénat le 31 octobre 1961 serait de six morts et cent trente-six blessés. Mais très vite les organisateurs de la manifestation, relayés par les opposants à la guerre, évoquent des « pendaisons dans le Bois de Vincennes et une Seine remplie de cadavres »
Bien plus tard, en 1998, on établira que 88 corps de Nord-africains sont entrés à l’Institut médico-légal et on chiffrera à 11 538 le nombre d'Algériens interpellés et retenus dans des mauvaises conditions d'hygiène et de nourriture ainsi que des mauvais traitements.
Dans les mois qui ont suivi la manifestation, les tensions se sont aggravées au sein du peuple français. Le 8 février 1962, dans l'Est parisien, une manifestation des partis de gauche contre la guerre d'Algérie et les attentats de l'OAS se termine par la charge de la police et la mort tragique de 7 manifestants au métro Charonne.
Attentats, répression et manifestations n'empêcheront toutefois pas les négociations de se poursuivre à Évian. Elles aboutiront au cessez-le-feu du 19 mars 1962 et à l'indépendance de l'Algérie, effective le 3 juillet de la même année
Le souvenir de la nuit tragique du 17 octobre s'inscrit dans la longue suite de drames et de malentendus dont sont tissées les relations entre l'Algérie et la France.
Depuis, les relations entre La France et l'Algérie ne se sont jamais totalement apaisées même si, tout récemment, le gouvernement français tente de renouer avec l'Algérie, crise énergétique oblige !
... mais c'est une autre histoire
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