« Reçu visite Mussolini. A déclaré que fascistes et nationalistes fermement décidés à s’opposer par tous moyens possibles y compris les plus violents aux excès partis extrêmes qui conduisent Italie à sa perte . . . Se dit prêt avec ses hommes à observer ordre et légalité si gouvernement ramène ordre par fonctionnaires publics dans cas contraire aucun excès ne sera épargné ».

Télégramme du préfet de Milan au président du Conseil Giolitti, le 17 octobre 1920

Côté paysan, les « baronnies rouges », ont choisi la lutte à outrance. En Émilie, les socialistes sont implantés dans 223 communes sur 280. L’économie rurale et les activités industrielles sont très lucratives, mais alors qu’il s’agit pour les patrons d’une affaire de profits, c’est pour les paysans une question de vie ou de mort.

La population des journaliers ne parvient à trouver du travail que 120 jours par an en moyenne, elle a donc besoin de hauts salaires pour éviter de mourir de faim le reste du temps.

Lors des luttes de printemps, les ligues paysannes ont obtenu que l’engagement de la main-d’œuvre passe entièrement par leurs bureaux de placement. Elles contrôlent à présent la vie économique des provinces, gèrent tout : les horaires de travail, le fonctionnement des batteuses, l’approvisionnement des semences et les récoltes agricoles.

Ferrare est la province la plus rouge d’Italie. Pour souligner sa primauté, le rouge est même trop faible : on l’a rebaptisée « province écarlate ». A la mi-mai, le premier congrès des ligues d’unité prolétaire a recensé 81 000 adhérents, entre ouvriers agricoles, métayers, fermiers et petits propriétaires, soit deux fois plus que dix ans plus tôt.

L’expansion est continue, progressive, impressionnante. La victoire, lors des luttes du printemps, a été écrasante. Les journaliers, puis les métayers et les fermiers ont imposé leur volonté aux patrons. Ils dictent leurs conditions de travail, leurs salaires et même le choix des cultures. Les propriétaires en sont peu ou prou réduits à fournir le capital.

La haine atavique des patrons contre les misérables qui rêvent à une nouvelle répartition des terres se réveille.

Le 17 août, à Bologne, dans une conque du Pô en ébullition, les propriétaires terriens s’unissent pour la première fois en fédération nationale. La Confédération générale de l’agriculture est née. La haine s’accumule. Les accords avec les préfets et les commissaires se concluent en cachette.

De leur côté les ouvriers cultivent de grandes espérances. Le premier septembre, leurs drapeaux, du même rouge que la torpédo mais frappés de la faucille et du marteau, flottent sur l’usine Alfa Roméo de Milan.

Tout à commencé, comme d’habitude, par un long et dur conflit concernant les hausses de salaire.

Les négociations se sont interrompues à la mi-août.

Les ouvriers ont réagi à cette rupture en pratiquant la grève perlée, une forme de grève qui ralentit le rythme de production sans impliquer de débrayage. Le 30 août, malgré les prières du préfet de Milan, Nicola Roméo, un industriel que la guerre a enrichi, proclame le lock-out de son usine.

La FIOM, syndicat des métallurgistes, en ordonne l’occupation.

En l’espace de quelques heures, tous les ateliers milanais sont envahis par les ouvriers, qui prennent en otage cadres supérieurs et parfois propriétaires. Le lendemain, les industriels décrètent le lock-out au niveau national.

La Confédération générale du travail réplique : plus de 500 000 ouvriers occupent 600 manufactures à travers l’Italie. L’opération est si rapide et si efficace qu’elle surprend tout le monde. Les préfets apprennent la nouvelle dans les journaux.

Dans tout le pays, les ateliers passent aux mains des ouvriers. Les cours et les hangars se transforment en bivouacs. Le drapeau rouge flotte sur les établissements Alfa Roméo.

La grande peur saisit la classe bourgeoise. Dans la plaine du Pô, les différents relatifs au concordat agricole se sont conclus par la victoire totale des paysans. C’est maintenant le tour des usines.

Pour les ouvriers, ce sont des jours de gloire, des jours où ils s’élèvent à la hauteur de leur destin. La production est en effet passée aux mains des corps de métier. Les tourneurs, les fraiseurs, les tubistes ou les simples manœuvres font marcher les industries sans le financement des banques, sans les approvisionnements en matière première, sans l’aide des techniciens et des ingénieurs. Des hommes robustes, simples et rudes s’appliquent une discipline rigoureuse. Pendant trente mémorables jours la classe ouvrière supplée à l’argent, à l’organisation et à la technique avec une profusion d’énergie morale, en une fuite en avant vers des formes supérieures d’activité humaine.

Pendant quatre semaines, les ouvriers ne sont plus uniquement des bras et des dos brisés, ils ne sont plus les appendices vivants des machines. Ils méritent leur révolution.

Mais la révolution encore une fois n’arrive pas.

 

( Extraits de lecture du livre d’Antonio Scurati ‘’M l’enfant du siècle’’ aux éditions Les Arènes )

 

Chaque mardi en exclusivité sur EVAB, vous avez rendez-vous avec la série ‘’M’’ qui va vous faire revivre les évènements qui ont fondé le fascisme en Italie, le siècle dernier.

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l’utilisation de cookies nous permettant par exemple de réaliser des statistiques de visites.