Je ne sais pas si le nombre de faits-divers augmente. Par contre, avec la nouvelle configuration de la presse audio visuelle en continu et les réseaux sociaux, on a l’impression de vivre en permanence dans un drôle de pays, un pays où l’actualité se résume en priorité aux faits divers, aux commentaires et aux analyses de leur origine et des solutions à y apporter (toujours les mêmes d’ailleurs)

On le sait depuis bien longtemps, le fait-divers est traditionnellement le lait dont se nourrissent goulument la presse de caniveau et la droite autoritaire. On est bien dans ce contexte-là : presse de caniveau avec en particulier CNews et BFMTV et droite autoritaire qui ne sait plus comment plaire pour capter l’électorat du Rassemblement National.

La recette est connue : du frisson, du sensationnalisme, des victimes à qui on peut facilement s'identifier, peu de travail (de journalisme) et on balance. Réactions garanties. Ça fait du papier, des heures (et des heures) de programmes et de commentaires indignés, et à la sortie des bulletins dans l’urne - on sait pour qui.

Car ne vous y trompez pas, la conclusion est écrite d’avance et doit toujours se résumer à l’équation du premier degré (de réflexion !) insécurité = étrangers=immigration !

 Ces derniers temps, cette production s’industrialise sous les efforts conjugués des principaux animateurs de ce petit commerce : les affaires Lola, Thomas, Philippine – et j’en passe - sont autant d’exemples récents de faits-divers d’abord montés en boucle sur les plateaux (principalement) puis instrumentalisés pour le plus grand profit de l'extrême droite.

Pour résumer, le schéma est désormais le suivant : une triste histoire, une victime française et un auteur étranger (présumé), et de quoi dérouler un discours bien dur en tapant du poing sur la table.

Le fait divers est un genre journalistique né à la fin du XIXe siècle qui chronique des faits insolites que les politiques instrumentalisent pour les transformer en une preuve d’un phénomène régulier, voire systémique. Et on y est en plein dedans :  « Ce n’est pas le crime individuel qui compte, c’est la masse », affirmait Éric Zemmour, allant jusqu’à parler de « francocide » – concept faisant croire à une volonté d’exterminer les « Français » définis comme « personnes blanches » et non plus comme une identité nationale.

Peu importe la réalité, le fait divers est « un processus qui vide l’événement de sa complexité au profit de ses seules virtualités émotionnelles et affectives ou des ‘valeurs éternelles’ qu’il illustre », selon l’analyse de Dominique Kalifa, historien spécialiste des imaginaires sociaux.

L’enjeu politique se situe dans cette émotion qui exacerbe notre capacité collective à simplifier les choses. L’extrême droite, adepte de la pensée simpliste, en fait son fonds de commerce et chasse ces histoires qui répondent à sa lecture du monde en mettant volontairement de côté les autres.

Le fait-divers joue donc le rôle d’exorcisation des grandes peurs : la violence et la mort. Mais il n’est pas rationnel et n’est pas le reflet de statistiques, il est « un miroir grossissant qui dépend d’un contexte particulier. Par cela, il nous dit plus de choses sur ce contexte que sur le crime en lui-même », abonde Martine Kaluszynski, directrice de recherches au CNRS.

Le fait divers a toujours servi les politiques sécuritaires et le populisme pénal n’est pas nouveau. Mais, jusqu’à récemment, cette politisation était surtout le fait des oppositions. Aujourd’hui, la droite au pouvoir poursuit le même objectif et dans la même veine : créer des ennemis, des boucs émissaires,  pour en récolter les fruits électoraux et tout faire pour qu'on oublie les vraies raisons d’un malaise social que la dure loi du libéralisme économique accentue et perpétue au grand bénéfice des possédants.