De l’été 1940 à l’été 1943, l’Algérie se donne avec ferveur à la « Révolution nationale » voulue par le Maréchal Pétain. Une ferveur à peine entamée par le débarquement allié du 8 novembre 1942, qui n’est pas immédiatement suivi d’un changement politique.
Dans un pays, l’Algérie, qui ne connaît pas l’occupation militaire de la Wehrmacht, ce qui pourrait apparaître comme une anomalie de l’histoire, n’a rien d’un accident ou d’une simple parenthèse.
Tout ce dont rêvent de nombreux colons européens depuis longtemps s’accomplit grâce au Maréchal Pétain :
- Rétablissement de l’ordre colonial et exaltation de sa grandeur,
- Réaffirmation de la puissance de l’église catholique et de l’armée d’Afrique,
- Mise au pas des populations musulmanes,
- Abrogation du décret Crémieux le 7 octobre 1940 qui ne fait plus des Juifs des citoyens français,
De fait, les « collaborationnistes », qui étaient tenus à distance dans les premières années du régime vichyste vont avoir pignon sur rue en Algérie dès l’été 1940.
Ils réclament et mettent en place des mesures d’épuration sans demande de l’occupant nazi qui n’est pas présent sur le territoire algérien.
Le renforcement de mesures d’un apartheid qui n’a jamais dit son nom se met en place dès l’été 1940 en Algérie.
Á la signature de l’armistice, 7 millions de Musulmans constituent 90 % de la population algérienne. Pour ces mêmes « collaborationnistes » il y a urgence à incarner une France coloniale qui, battue militairement en métropole, ne doit pas permettre une éventuelle révolte.
Cette incarnation va être portée sur place par le général Weygand qui orchestre depuis Alger la partition vichyste.
L’abrogation du décret Crémieux était une obsession pour les courants de l’extrême droite bien implantés en Algérie avant la seconde guerre mondiale.
Á l’automne 1938 Doriot en faisait le mot d’ordre central de son parti, le PPF, en Algérie.
Á partir de l’automne 1940, 3500 fonctionnaires juifs sont licenciés et plongent dans la misère.
Sur les 130 000 Juifs d’Algérie, seuls 1310 sont maintenus citoyens français en tant qu’anciens combattants.
Les enseignants et les enfants juifs sont exclus de l’école publique.
Le gouvernement d’Alger accentue la communautarisation en divisant la société algérienne en 3 groupes distincts.
Avec la mise en place de la communautarisation, les promesses assimilationnistes s’évanouissent.
Cette égalité par le bas pour les populations musulmanes et juives est synonyme de grande misère. Ce n’est pas un hasard si Camus situe son roman « La peste » dans la ville d’Oran qui est effectivement ravagée par une épidémie de typhus.
Dans cette ville d’Oran qui rêvait de se donner au franquisme après sa victoire en 1939, les groupes paramilitaires comme le SOL ou la Légion Française des Combattants demandent et obtiennent que les Juifs ne puissent plus circuler dans les rues les dimanches et jours fériés et qu’ils portent l’étoile jaune.
L’aryanisation de la société est organisée, la mise sous séquestre touche les exploitations agricoles, les entreprises et les commerces.
Dans cette panoplie totalitaire, il ne manque plus que les camps de concentration qui sont rapidement mis en place pour les Juifs étrangers, les combattants des brigades internationales et les déportés politiques de la métropole.
L’été 1942, à Zeralda qui se rêve station balnéaire, le maire interdit la plage aux Juifs et aux Musulmans. Plusieurs dizaines de contrevenants musulmans sont arrêtés, une partie d’entre eux meurt en prison.
Le 31 octobre 1942, le gouverneur Chatel passe commande d’étoiles jaunes pour tous les Juifs d’Algérie, seul le débarquement allié une semaine plus tard empêche cette réalisation.
A Oran, les Français de l’armée d’Afrique tirent sur les Français qui débarquent avec les anglo-américains. Le cessez le feu est ordonné le 10 novembre 1942, soit deux jours après le débarquement.
Les autorités vichystes continuent d’exercer le pouvoir et prennent les mêmes mesures.
2 300 militants du SOL maintiennent leur ordre à Alger. L’idéologie est si pétainiste que le film « Casablanca » n’est pas distribué dans les cinémas.
De Gaulle prend le pouvoir à Alger durant l’été 1943. Le 14 juillet il préside le défilé. Il aura donc fallu 8 mois pour expurger le Vichysme d’Algérie.
En octobre 1943 De Gaulle rétablit le décret Crémieux mais ne répond pas aux attentes des Musulmans.
Sans être occupée militairement par les Nazis, l’Algérie a donc volontairement mis en place une politique ségrégationniste qui est allée plus vite et plus loin pendant les 3 ans de gouvernance locale que celle de la maison mère vichyste.
Cette politique ségrégationniste a été un coup d’accélérateur pour la lutte d’indépendance nationale.
La collaboration en Algérie nous montre une chose : l’extrême droite génère ce qu’elle dit redouter : le chaos !
Ces notes de lectures sont extraites du livre de Benjamin Stora « Histoire de l’Algérie coloniale, 1830-1954 » Éditions La Découverte 1991 nouvelle édition 2004