La richesse et le poison se sont conjugués dans la mine d’une vallée de l’Aude à Salsigne. Pendant près de 3 ans, Nicolas Rouillé a collecté la parole des mineurs et des habitants. Il l’a retranscrite dans un livre coup de poing qui évoque la richesse de la mémoire ouvrière et le poison de la pollution industrielle. EVAB vous propose des extraits de cette parole qui alterne entre rires et pleurs.
Salsigne (3) : la mémoire politique
- Salsigne, à l’époque, c’était la commune la plus importante de toute la vallée de l’Orbiel, et de loin. Conques, où il y a 3 000 habitants aujourd’hui, était plus petit que Salsigne. Cette vallée sortait du radical-socialisme, qui était mourant, pour passer dans les mains du socialisme. Un socialisme bien particulier, le « Courrièrisme », qui est le socialisme local.
- L’arrière-grand-père, Fernand Courrière, c’est celui qui lance la dynastie. Il était instituteur à Cuxac-Cabardès et expert géologue pour les mines. Dans les années 1910, il est envoyé par les propriétaires des mines voir quel est le marché américain.
- Ils n’étaient pas trop pour l’union de la gauche. Ils ne voulaient pas entendre parler du Parti communiste ni de la CGT. Jalabert a pris la mairie de Salsigne en 1950, je crois, et il a mis en place cette politique de « ceux-là on n’en veut pas ».
- Le grand-père, Antoine Courrière, est notaire, maire de Cuxac-Cabardès, conseiller général et sénateur de l’Aude. Son surnom, c’était « le Sanglier ».
- Les maires du Cabardès, à l’époque, quand tu leur demandais un truc un peu compliqué, il fallait qu’ils voient Antoine. On les appelait les « Antoine » !
- Le père, Raymond Courrière - surnommé « le Marcassin », logique, était notaire lui aussi, maire de Cuxac-Cabardès lui aussi, sénateur lui aussi, secrétaire d’État sous Mitterrand.
- Pierre Jalabert, le maire de Salsigne, c’était le parrain de Raymond Courrière et le principal soutien de son père.
- Et maintenant c’est la fille qui est conseillère régionale sur la liste Occitanie-machin-chose. Rien ne se perd !
- Les maires historiques du coin se connaissent tous entre eux. Ces gens-là, avant de prendre n’importe quelle décision, ils appellent les référents et on leur dit quoi faire. Les décisions, c’est pas eux qui les prennent.
- Pour maintenir cette ligne politique, il fallait empêcher la population qui ne pensait pas comme ça de venir s’installer. Or à Salsigne? il y avait 1 500 employés et la plus grande partie d'entre eux étaient à la CGT et membres du Parti communiste. Donc chaque fois qu’un mineur demandait un permis de construire sur la commune, le maire disait non.
- Qu’est-ce qui s’est passé ? les mineurs sont partis !
- La mairie de Conques était dirigée par Félix Roquefort, communiste et résistant. Il était heureux, cet homme, parce qu’il avait hérité de tous les types dont les autres ne voulaient pas et il avait fait de sa commune, la première du canton.
- Les maires de Salsigne qui se sont succédé, autant Jalabert que Vidal, ils disaient : « On a les avantages et on n’a pas les emmerdeurs ! » Ils avaient la taxe professionnelle, mais pas les cégétistes. Donc, entre Salsigne et les autres communes, il y a toujours eu des jalousies.
Ce texte est un extrait des paroles recueillies dans le livre de Nicolas Rouillé « L’or et l’arsenic », édité aux éditions Anacharsis dans la collection « les ethnographiques », il est paru en février 2024. Je vous en recommande vivement l’achat et la lecture.