La richesse et le poison se sont conjugués dans la mine d’une vallée de l’Aude à Salsigne. Pendant près de trois ans, Nicolas Rouillé a collecté la parole des mineurs et des habitants. Il l’a retranscrite dans un livre coup de poing qui évoque la richesse de la mémoire ouvrière et le poison de la pollution industrielle. EVAB vous propose des extraits de cette parole qui alterne entre rires et pleurs.
Salsigne (2) : mémoire des luttes
- En 1991, comme cadeau de Noël, on a eu la fermeture de la mine. C’était une volonté politique, ils ont profité de la baisse des cours de l’or. C’était le BRGM qui dirigeait Salsigne à l’époque. C’était une faillite de l’État français.
- On est arrivé le matin, ils ont dit : « Vous pouvez rentrer à la maison, on n’a plus de sous pour faire fonctionner ! ». Ça s’est passé comme ça. Du mois de décembre jusqu’en février, on ne savait pas ce qu’on allait devenir. On n’était même pas au chômage technique, on n’était pas payés, on n’était rien. Quand on a vu ça, on a dit : « Si on reste à Salsigne, on est morts ! ».
- Alors on a pris des couvertures et on est descendus à Carcassonne. C’est là qu’on s’est mis devant la préfecture pendant 83 jours. Les premières nuits, on avait seulement une guitoune de jardin. Il ne faisait pas bon ! Après, on avait une tente du Parti communiste.
- On a appelé ça le carreau Convert (du nom du préfet de l’époque, Victor Convert). Une veuve est venue avec de la charcutaille, elle a dit : « Tenez bon les petits ! ».
- Le boucher nous a apporté une gamelle de gras-double. Un buraliste m’a donné une poche pleine de paquets de cigarettes et de tabac que j’ai amenée au carreau de la lutte.
- On a fait une manif à plus de 8 000 personnes ! À Carcassonne !
- On t’a foutu un bordel dans la ville ! On avait six camions pleins de cailloux, et chaque fois qu’on négociait on disait aux copains : « Vous démarrez un engin et vous descendez ! ».
- À la préfecture, ils se sont dit : « Ceux-là, c’est des allumés, et ce sont des responsables, alors qu’est-ce que ça doit être les autres ! ».
- Un jour, je reçois un coup de fil du préfet, me disant : « Ils veulent descendre un gros bloc de rocher et l’installer devant la préfecture, faites en sorte qu’ils ne puissent pas prendre le camion. » C’étaient des « Caterpillar 773 » de 50 tonnes.
- Sitôt posé le caillou, ils nous ont envoyé les mecs de la DDE pour l’enlever. Alors on a été voir le maire de Carcassonne, Chésa, un maire de droite, une gueule politique. On a demandé que la mairie nous cède 5 mètres carrés de terrain. Il y a eu une délibération du conseil municipal qui nous a fait cession de ce terrain. Il nous appartenait, donc on a remis le caillou ! Il était chez nous, ils ne pouvaient pas dire occupation illégale de l’espace public, ils pouvaient plus l’enlever.
- On a mis le feu à la porte de la préfecture. Il y a un gars qui avait neutralisé le camion de pompiers avec un Opinel. Les CRS avaient que des petites lances, des tuyaux d’arrosage. La porte qui faisait 8 mètres de haut, elle a pris feu avec le drapeau.
- Les CRS derrière le portail de la préfecture, ils n’avaient pas intérêt à broncher parce qu’on leur pétait dedans ! Mais attention, on n’était pas là pour casser. On était là pour défendre notre bifteck, c’est tout.
- À la gare, on allait sur les voies, on arrêtait les trains, et quand les CRS arrivaient pour nous déloger, on sortait de là et on les faisait marronner.
- En se mobilisant, on a obtenu un congé de conversion de dix mois, ce qui faisait qu’on a pu se battre. Dix mois payés 80 % du salaire brut. Si on n’avait pas eu ça, on serait tous allés chercher du boulot.
- Finalement, des Australiens de la société Eltin sont arrivés en disant : « Votre truc nous intéresse, vous avez des teneurs en or extraordinaires ! » Et ils ont repris Salsigne.
Ce texte est un extrait des paroles recueillies dans le livre de Nicolas Rouillé « L’or et l’arsenic », édité aux éditions Anacharsis dans la collection « les ethnographiques », il est paru en février 2024. Je vous en recommande vivement l’achat et la lecture.