L’idéologie de la junte militaire et la réorientation de 1975
La doctrine de la junte militaire chilienne, telle qu’elle est présentée dans un ouvrage collectif « Nuestro camino » est déclinée sur des bases ultraconservatrices, totalitaires et libérales. Le néolibéralisme vient s’adjoindre ultérieurement aux autres doctrines.
L’ultraconservatisme et le libéralisme étaient actifs avant le coup d’État. Le totalitarisme est lui lié au coup d’État militaire.
Le néolibéralisme est porté par ceux que l’on nomme les « Chicago boys », un courant monétariste déjà partiellement influent au Chili à la suite d’accords passés en 1955 entre l’université catholique de Santiago et l’université de Chicago.
Tout change avec l’élection d’Allende. Une revue « Qué pasa », créée en 1971 sert de passerelle entre la droite intellectuelle et l’armée. Armée qui adopte seulement en avril 1975 le plan de choc qui vise à obtenir une transformation profonde de toutes les relations sociales.
Auparavant, entre 1973 et 1975 la junte militaire avait adopté la « politique gradualiste » d’économistes proches du Parti démocrate-chrétien qui pratiquaient un programme d’austérité d’obédience libérale.
En avril 1975, dans un contexte de crise ouverte, un véritable tournant intervient avec l’adoption d’un programme économique de choc. Pinochet est à l’initiative de ce tournant qui assoit son pouvoir et celui des « Chicago boys » sur le Chili.
Ce programme économique baptisé « destruction créatrice » va immédiatement produire des effets en détruisant des pans entiers de l’industrie, en projetant une partie importante des salariés dans le chômage et en provoquant l’effondrement des salaires. Le capital dans sa forme monétaire est favorisé au détriment du capital productif.
Parallèlement, par des lois promulguées en 1978 et 1980, la junte introduit le « Plan laboral », un nouveau code du travail destiné à institutionnaliser une relation nouvelle entre État, capital et travail. Le droit syndical est rétabli sous certaines conditions très strictes. Parallèlement de 1978 à 1982, plusieurs réformes, connues sous le nom des « sept modernisations », imposent une privatisation partielle ou totale. Elles touchent des domaines aussi divers que la législation du travail, les retraites, la santé, l’éducation, la justice, le secteur agricole et agraire, la régionalisation.
Dans l’intervalle, en 1980, est promulguée la nouvelle constitution. Sa principale fonction est d’opérer un verrou juridique en rendant par avance impossible tout changement d’orientation dans les politiques gouvernementales.
Sans surprise, cette nouvelle constitution est rédigée par un adepte de Carl Schmitt, le théoricien du « libéralisme autoritaire » dans l’Allemagne des années 1930.
Cette constitution de 1980 vient, récemment, d’être maintenue à la suite d’un référendum qui visait à mettre en place une nouvelle constitution plus progressive.
Cet article est rédigé à partir d’extraits de lecture d’un livre collectif intitulé « Le choix de la guerre civile », (une autre histoire du néolibéralisme), paru aux éditions LUX en 2021.
Pour celles et ceux qui veulent en savoir plus sur cette séquence politique, je vous conseille les livres de :
- Franck Gaudichaud « Chili 1970 / 1973. Mille jours qui ébranlèrent le monde », aux Presses universitaires de Rennes, 2020
- Olivier Besancenot et Michaël Löwy « Septembre rouge ». Le coup d’État du 11 septembre 1973 au Chili, aux éditions Textuel, 2023