Il existe 49,3 manières de passer en force. C’est le cas encore avec ce budget 2024 qui a été adopté sans véritable discussion.
Sans discussion, mais avec des amendements sournois, sortis d’on ne sait où, proposés comme par hasard par des parlementaires de la majorité et acceptés par le gouvernement. La presse s’en fait l’écho, quelquefois, pas toujours.
On a déjà parlé dans « En Vie à Béziers », du mal-logement et du manque de logements sociaux. Faute de moyens, nous dit-on. Nous pensons, nous : de volonté politique. C’est le Livret A, un mode d’épargne toujours très prisé des Français (55,1 millions d’entre eux possédaient un de ces comptes d’épargne gratuits fin 2022) qui est le principal financeur du logement social. En fait, les fonds disponibles sur ce livret d’épargne (et sur le livret de développement durable et solidaire) ne servent pas qu’à financer les projets d’habitat social, mais aussi tout un tas de projets initiés par les collectivités locales en particulier tout ce qui concerne le renouvellement urbain ou les infrastructures.
Il faut savoir qu’une partie de ces fonds (400 milliards d’€ pour le seul livret A) sont gérés par la Caisse des dépôts de Consignations. En réalité, près de 40 % sont gérés par les banques. Tout cet argent qui se trouve dans les banques suscite la convoitise. Une grosse partie était consacrée par la loi à « financer les PME, contribuant à la transition énergétique, et à la lutte contre le changement climatique et à l’économie sociale et solidaire ».
On avait ouvert la porte pour d’autres projets que le logement social, le gouvernement vient de s’y engouffrer ! Cette partie de l’épargne gérée donc par le système bancaire pourra désormais servir à financer aussi l’industrie de la défense, c’est-à-dire l’armement. On marche sur la tête !
Cet amendement, accepté par le gouvernement, a été porté par le député Horizons de Charente-Maritime, Christophe Plassard (qui est par ailleurs président de la commission de la défense nationale et des forces armées à l’Assemblée, tiens donc). Il stipule que les montants des livrets A et LDDS (conservés à leur bilan par les banques) devront être en partie dédiés « au financement des entreprises, notamment petites et moyennes, de l’industrie de défense française ». On ne crache pas sur ce surcroit d’argent pour financer l’équipement de nos forces armées ou booster nos exportations d’armes.
N’y a-t-il pas quelque chose de cocasse à voir le livret A utilisé pour financer une partie de l’industrie de l’armement, lui qui avait historiquement servi à réparer les dégâts de la guerre ? Le livret A a en effet été créé en 1818 sous le règne de Louis XVIII pour capter l’épargne des Français afin de solder les dettes des guerres napoléoniennes.
Après la Seconde Guerre mondiale, cette épargne populaire a été massivement mobilisée pour financer la reconstruction du pays, et notamment l’habitat social.
La symbolique est d’autant plus terrible que le secteur HLM — que le livret A finance — vit de son côté une crise de grande ampleur. La faute aux difficultés financières des collectivités locales qui, lâchées par l’État, lancent moins de projets. On notera la complète hypocrisie du gouvernement qui téléguide ce type d’amendement au moment même où Borne va à Dunkerque parler des efforts pour le logement.
Cette décision fait donc craindre des conséquences sur le financement du logement social, déjà particulièrement mis à mal. D’autant plus que les missions du livret A évolueront nettement dès les prochains mois. De nombreux secteurs de l’économie vont certainement lorgner l’argent collecté sur les livrets A et LDDS. (Et pas seulement la manne conservée par les banques.) Son image de produit d’épargne populaire à finalité sociale en sera érodée d’autant. En ces temps où la pauvreté explose, où les services publics se dégradent au regard des besoins et où la crise du logement s’aggrave, cela peut choquer.
Et cela nous choque !