Le 22 mai 2016, voilà exactement 7 ans, Ken Loach reçoit pour la seconde fois la palme d'or à Cannes pour "Moi, Daniel Blake" après "Le vent se lève" quelques années auparavant.
Par-delà les discussions sur la pertinence de cette récompense – ce n’est effectivement pas le meilleur film du cinéaste –, il y a là, à l’évidence, un message d’urgence.
Figure du septième art britannique, Ken Loach en est aussi un cas particulier, lui qui a su maintenir vivante la tradition d’un cinéma social à base documentaire.
Le point de départ est cette fois la privatisation des services sociaux. La description des dégâts produits par le libéralisme thatchériste et ses suites est impitoyable.
Pour la première fois de sa vie, Daniel Blake, un menuisier anglais de 59 ans, est contraint de faire appel à l’aide sociale à la suite de problèmes cardiaques. Mais bien que son médecin lui ait interdit de travailler, il se voit signifier l'obligation d'une recherche d'emploi sous peine de sanction car il ne peut être indemnisé que s’il prouve qu’il en cherche un.... Au cours de ses rendez-vous réguliers au « job center », Daniel va croiser la route de Katie, mère célibataire de deux enfants qui a été contrainte d'accepter un logement à 450km de sa ville natale pour ne pas être placée en foyer d’accueil. Pris tous deux dans les filets des aberrations administratives de la Grande-Bretagne d’aujourd’hui, Daniel et Katie vont tenter de s’entraider…
L’absurde s’étend peu à peu à toutes les situations. Mais le plus important est sans aucun doute la solidarité liant Daniel Blake aux laissés-pour-compte qu’il côtoie, comme Katie, elle aussi victime de l’ineptie administrative et qui se sacrifie physiquement et moralement pour ses enfants. Loach rabâche dans la bouche de son héros à la fin du film, un message de solidarité. Mais qui lui reprochera de penser qu’il y a urgence ?
La droiture. Voici le mot qui vient à l'esprit pour qualifier le personnage de Daniel Blake. Car il n'est pas question pour ce menuisier au chômage en lutte avec les services sociaux de baisser les bras, ni de mollir du genou. Daniel a beau avoir 59 ans et une longue vie de travail derrière lui, il n'envisage pas pour autant quelque inactivité que ce soit. Bien au contraire. Ken Loach nous le montre d'ailleurs dans un grand nombre de scènes marchant vaillamment dans la rue, grimpant des escaliers avec énergie comme s'il souhaitait insister sur une vigueur et une détermination encore intactes.
Un homme droit dans ses bottes donc, qui place au plus haut point, la question de la dignité. Une dignité pragmatique, à l'optimisme chevillée au corps, qui amène notre chercheur d'emploi à accepter les aides légitimes auxquelles il a droit mais en aucun cas au prix d'une humiliation quasi programmée par la mécanique administrative.
Et le film montre justement très bien l'absurdité de ce système qui exclut la possibilité pour les gens de communiquer, de s'expliquer. Et il n'est point besoin d'être aux abois avec deux enfants ou au chômage à la soixantaine pour comprendre l'exaspération de Daniel face à ces répondeurs qui ne répondent jamais ou ces stages qui n'enrichissent que ceux qui les dispensent. Ce qui mine cet homme, ce n'est pas tant ses problèmes de cœur - il n'en manque pas - mais la déshumanisation à l’œuvre éloignant ceux qui s'en sont sortis de ceux qui sont sur la brèche. La démonstration du réalisateur britannique est de ce point de vue très efficace.
Ken Loach s'appuie sur une mise en scène fluide, sans chichis et sur une poignée de personnages "secondaires" particulièrement crédibles dont les rôles s'attachent précisément à rétablir ce qui lui semble fondamental à sauver dans une société digne de ce nom : l'entraide et la considération.
Ken Loach n’a jamais caché ses engagements politiques à tel point qu’avec lui, même le sentimental « Roméo et Juliette » qu’est Just a Kiss (2004) devient un affrontement entre communautarismes pakistanais et catholiques, dominé par les préjugés religieux et de classe... Plusieurs de ses films reviennent sur des temps forts de l’histoire politique internationale et ont accru la réputation du réalisateur.
D'abord le film "Le Vent se Lève" qui a reçu la Palme d'Or au festival de Cannes 2006. Il raconte la relation affective entre deux frères. L'action se déroule en Irlande, quand, en 1920-1921, après sept siècles d'occupation anglaise, l'île arracha son indépendance les armes à la main.
Sans oublier en 1995 Land and Freedom qui interroge plus directement l'histoire en abordant la guerre civile espagnole, « histoire d'une révolution trahie ». Il y évoque les luttes de pouvoir entre anarchistes, trotskistes et communistes. Après l'effondrement du bloc communiste, Ken Loach déclarera : « Le socialisme n'a pas échoué, il reste à faire. »
Ce même 22 mai, en 1948, la résolution 49 du Conseil de sécurité des Nations unies pour un cessez le feu en Palestine. est adoptée. 75 ans plus tard, Israël n'applique toujours pas cette résolution ... mais c'est une autre histoire !
Version audio avec illustration musicale sur Radio Pays d'Hérault, à écouter ICI