Le 16 janvier 1969, voilà exactement 54 ans, Jan Pallach s'immole par le feu à Prague sur la place Venceslas. Il a 20 ans et sur le coup de 15 heures, il met à exécution ce geste à la manière des bonzes vietnamiens, qui frappera bien au-delà des frontières de la Tchécoslovaquie.
Un geste pour protester contre l'invasion de son pays par les troupes du pacte de Varsovie qui a eu lieu six mois auparavant. Nous sommes en pleine guerre froide.
Peu après, la radio publique locale annonce qu’un employé des transports en commun a tenté d’éteindre le feu sur le corps du jeune homme, puis que Palach a été emmené à l’hôpital. “Le motif de son geste est inconnu”, précise le journaliste sur le moment.
Alors que l’Etat tchèque avait esquissé une ouverture dans la doctrine du bloc de l’Est, avec le "socialisme à visage humain", la répression soviétique est sans pitié depuis la nuit du 20 au 21 août. L’armée rouge a lancé ses chars (environ 6000, qui écrasent Prague) et ses avions (un petit millier, qui pilonnent depuis le ciel tchécoslovaque) - on appellera cela pudiquement “la normalisation”.
Quand l’étudiant se sacrifie, il n’est pas seul. Son geste est en fait un projet collectif. Palach appartient à un petit groupe d’étudiants qui ont décidé, ensemble, de recourir à l’auto-immolation.
Collectivement, ils protestent contre la répression du “Printemps de Prague” et les cinq mois que leur pays vient de vivre
En ce début d’année 1969, Jan Palach et ses amis ont donc décidé de s’immoler sur cette place la plus célèbre de la Mitteleuropa. Il n’a pas réellement choisi d’être le premier à ouvrir le ban de ce qui se veut une action protestataire capable de secouer large (dans le groupe, on dira “torche numéro 1”). L’ordre des immolations a en fait été tiré au sort, et les autres membres du groupe doivent faire de même, les uns après les autres.
Une fois à l’hôpital, Palach, veillé par sa mère, recevra de la visite. Des journalistes, notamment, qui l’enregistreront. Dans les archives, il reste une trace de lui après son sacrifice, qui parle depuis son lit d’hôpital, où il mourra trois jours plus tard.
Aujourd’hui, on sait par les recherches menées depuis 50 ans que Jan Palach a lancé un appel à ses camarades.
En effet, trois heures avant de mourir, Jan Palach, a demandé à ses camarades de ne pas poursuivre la série des " torches humaines ".Cet ultime message a été répété à Radio-Prague par un camarade du défunt. Lubos Holecek a affirmé que la jeune victime avait dit : " Mon acte a atteint son but, mais que personne ne m'imite. Il vaut mieux que personne ne recommence. Que les vivants consacrent leurs efforts à la lutte. Je vous dis au revoir. Peut-être nous reverrons-nous. " Ils l’entendront, et renonceront.
Cependant une intense émotion règne en Tchécoslovaquie, où l'on craint malgré tout que l'un des quatorze amis du décédé ne renouvelle cette immolation.
Pourtant, on recense aujourd’hui sept suicides politiques entre la mort de Jan Palach, en janvier 1969, et le mois d’avril de la même année. Ils resteront dans l’histoire comme “torche numéro 2” (Josef Hlavatý, un ouvrier qui s’immole quatre jours après Palach), “torche numéro 3” (Jan Zajíc, lui aussi étudiant à Prague, qui participera à la grève de la faim organisée après l’immolation de Palach, puis décidera de s’immoler à son tour, le 25 janvier).
En dépit des apparences et de la litanie des numéros, ces successeurs n’avaient en fait aucun dessein commun avec Palach. Ils ne se connaissaient pas même. Mais Palach a fait des émules, et on dénombre pas loin d'une trentaine de tentatives d’immolation dans les mois qui suivront son geste si édifiant.
Car l’immolation par le feu comme modalité de protestation politique a aussi à voir avec quelque chose qui relève d’un engrenage, d’une inspiration puissante, d’un effet d’entrainement. Alors que les médias utilisent souvent le terme (assez anxiogène) de “contagion”, les spécialistes préfère nommer tout cela “l’effet Werther”. _C'est-à-dire, un suicide par imitation en domino, d'après l'expression du sociologue américain David Philipps qui s'inspirait en 1982 de Goethe et des Souffrances du jeune Werther).
Plusieurs années après la mort de Jan Palach, un de ses anciens enseignants racontera dans un documentaire que le geste inouï de l'étudiant tchécoslovaque procédait aussi de cet "effet Werther" (qu'on n'appelait pas comme cela à l'époque). Lui-même avait eu vent, par la presse, du suicide par immolation d’un certain Thich Quang Duc, d'après son professeur. En 1963, un peu plus de cinq ans avant que Palach et ses amis élaborent leur projet commun, ce moine bouddhiste vietnamien, âgé de 66 ans, s’était ainsi sacrifié pour protester contre la politique de répression des populations bouddhistes par le pouvoir de Saïgon, dirigé à l’époque par un catholique.
Parce qu’il était jeune, 20 ans tout juste, mais peut être aussi parce que, vu d’Occident, l’immolation apparaît toujours moins contre-culturelle en Asie, Jan Palach est aujourd’hui singulièrement plus connu que Thich Quang Duc en France. Et c’est à l’étudiant tchèque que tous feront référence quand Mohammed Bouazizi s’immolera à son tour par le feu, le 17 décembre 2010, en Tunisie. Son geste est à l'origine des émeutes qui concourent au déclenchement de la révolution tunisienne évinçant le président Ben Ali du pouvoir, et par extension aux protestations et révolutions dans d'autres pays arabes connues sous le nom de Printemps arabe.
... mais c'est une autre histoire
Version audio avec illustration musicale sur Radio Pays d'Hérault, à écouter ICI