Dans son livre « Le prophète rouge » Julie Pagis chercheuse en science politique nous plonge dans la descente aux enfers d’un groupe de militants maoïstes des années 1970

Dans une interview donnée à « l’Humanité », Julie Pagis revient sur le sens du mot charisme quand il est attribué à un individu.

Elle indique que pour Max Weber, le pouvoir charismatique est le pouvoir prêté à un leader par ses suiveurs ou ses adeptes. Pour Weber, ce n’est pas une qualité individuelle, mais la somme de croyances individuelles en la qualité extraordinaire des chefs qui génère le charisme.

La définition ‘’wébérienne’’ du « charisme personnel » établit 5 critères : la reconnaissance dans le chef de qualités exceptionnelles, l’inconditionnelle soumission à son autorité, la formation d’une communauté dans laquelle on entre par conversion, le sentiment partagé de devoir accomplir une mission subversive et, enfin, la fameuse instabilité du charisme.

Dans le groupe militant maoïste étudié, tous les membres cherchent à se faire ouvriers, prolétaires.

Le chef Fernando leur demande d’arrêter leurs études, ils s’établissent en usine. Ceux qui ne le font pas sont exclus.

Les membres du groupe se font passer pour ce qu’ils ne sont pas, ils vont chercher à éradiquer chez eux toute trace de petite-bourgeoisie.

Fernando leur dit que le groupe sera un vrai parti d’avant-garde quand chacun aura finalisé ce travail de conversion.

La conversion s’accompagne d’un dispositif coercitif dont un des outils est l’autocritique.

Les membres du groupe doivent faire des bilans sur toutes leurs actions. L’enjeu affiché est de devenir un meilleur militant.

Peu à peu, l’autocritique est dévoyée. Elle devient quotidienne et porte sur des choses anodines comme l’achat d’une veste.

L’autocritique génère de la culpabilité, Fernando utilise une culpabilité de classe pour parvenir à ses fins.

Dans la définition wébérienne, toute domination s’accompagne d’un consentement du dominé.

Pour assoir son pouvoir, Fernando se présente au groupe comme un réfugié antifranquiste. Il a vécu 3 ans en Chine au moment de la révolution culturelle, il traduisait les œuvres de Mao.

Fort de cette expérience, il se positionne comme un prophète rouge? d’où le titre du livre.

Il sait que pour perpétuer son pouvoir, le leader charismatique doit sans cesse prouver qu’il est extraordinaire.

Quand des militants du groupe sont impliqués dans des grèves victorieuses à la SNECMA et chez KLEBER, en 1973, ils lui attribuent une partie du succès.

Dans l’inconscient collectif du groupe s’ils continuent sur cette voie, la révolution sera au bout du chemin.

L’écrit joue un rôle essentiel dans le contrôle exercé par Fernando. Tout est consigné dans des cahiers de réunion.

Tout ce qui est dit en réunion y est scrupuleusement noté. Grâce à ces cahiers, Fernando sait ce qu’il s’est passé y compris pendant ses absences. Il sait où appuyer pour faire culpabiliser chacun, il joue des rancunes et des rivalités.

Il propose de critiquer le fonctionnement de l’organisation pour soi-disant comprendre ce qu’il faut changer, mais il s’en sert pour exclure ou destituer.

Fernando dissout le groupe en 1981. La quasi-totalité de ses membres va peiner à s’en défaire.

L’enquête passionnante de Julie Pagis porte sur un groupuscule des années 1970 qui pourrait s’apparenter à une secte, mais les mécanismes qu’elle décortique sont ceux du stalinisme.

Certes le Stalinisme s’est développé à une échelle de masse, mais il utilise les mêmes ingrédients, les mêmes ressorts.

L’autre atout du livre de Julie Pagis, c’est de nous inviter à regarder en face le stalinisme pour que nos vœux d’émancipation ne terminent pas dans le cimetière des utopies.

 

( « le prophète rouge » de Julie Pagis éditions La Découverte, 2024)