Avec Josep, film primé aux César, le dessinateur de presse Aurel, signe son premier long métrage animé. On y suit le destin de Josep Bartoli, un artiste espagnol républicain qui fut parqué dans des camps français en 1939 alors qu’il fuyait le régime de Franco.

Les camps donc mais aussi sa renaissance à Mexico, sa rencontre avec Frida Kahlo puis sa libération artistique à New York. Le film nous entraîne dans une série d’aventures inspirées par la vie de ce dessinateur et scénarisées par Jean-Louis Milési. Un film sur la transmission mais qui nous parle aussi d’immigration, d’une urgente actualité. Un film d’une incroyable modernité.

Il a été projeté à La Cosmopolithèque à Béziers ce jeudi 10 février.

Robert Martin : Aurel, bonjour, vous êtes à Béziers aujourd'hui pour nous présenter votre film sorti en septembre 2020 qui s'appelle Josep. C'est qui Josep ?

Aurel : Bonjour ! Josep, c'est le héros du film. C'est le personnage principal qui est fortement inspiré d'un autre Josep qui s'appelait Josep Bartoli qui est né à Barcelone en 1910 et qui était un dessinateur de presse, catalan, qui a combattu le franquisme pendant la guerre d'Espagne. Il s'est exilé comme 500000 autres espagnols en France pour fuir le franquisme en février 1939 et ensuite il n'a jamais cessé de dessiner même enfermé dans les camps de concentration du sud de la France où on parquait les républicains espagnols. Il a réussi à s'échapper, à partir et à vivre une vie assez romanesque  jusqu'à sa mort au bel âge de 85 ans, compte tenu de tout ce qu'il avait vécu. Il est mort à New York où il vivait depuis les années 50 en 1995.

RM : après un passage à Mexico

Aurel : entre autres, oui ! Il n'est pas resté si longtemps que cela à Mexico mais ça a été remarqué parce qu'il y a rencontré Frida Kahlo qui à l'époque était une peintre, pas du tout connue ni reconnue. Elle était surtout à l'époque et c'est comme cela qu'il l'a rencontrée l'épouse de Diego Rivera et Josep allait rencontrer Diego Rivera en tant que peintre.

RM : pourquoi Josep ? qu'est-ce qui vous a touché, vous a intéressé, dans ce personnage ?

Aurel : Beaucoup de choses et d'abord son dessin ! Avant de connaître son histoire dans le détail c'est vraiment son dessin qui m'a touché,  j'emploie même le verbe happer. En fait son neveu Georges Bartoli  qui est un photographe de presse a écrit il y a une bonne dizaine d'années un livre qui s'appelle "La Retirada" qui s'interroge sur le devenir  des deuxièmes générations de ces exilés, il y raconte un peu l'histoire de sa famille  et il a illustré ce livre avec les dessins de son oncle Josep. C'est un livre qui est paru chez Actes Sud dès 2009 et dès la couverture, on trouve un dessin très très fort de Josep ainsi que tout au cours du livre, dessins réalisés dans les camps dont je parlais tout à l'heure. Ces dessins sont d'une force incroyable et d'une beauté incroyable aussi. Moi je m'intéressais  beaucoup à la guerre d'Espagne depuis de nombreuses années mais je ne connaissais pas du tout les conditions de l'exil des espagnols et ce qu'on appelle "La Retirada" de plus en plus connue aujourd'hui notamment à travers le mémorial de Rivesaltes qui a été inauguré voilà cinq ou six ans. Je découvre, grâce au livre de Georges, cette histoire qui n'est pas très connue hormis des familles et des historiens.

RM : C'est plus facile ou plus difficile pour un dessinateur de parler d'un autre dessinateur ? 

Aurel : C'est beaucoup plus facile parce que c'est un thème qu'on maîtrise. Aimer un dessin c'est bien, arriver à poser des mots sur le pourquoi et le comment on aime le dessin et pourquoi le dessin est intéressant, c'est autre chose. Ça a été un des défis très importants à mener à travers ce film c'est à dire à essayer de justifier l'intérêt que je portais à ce dessin-là, à ce travail-là et m'interroger sur ce signifie le dessin, les raisons du dessin, sur l'acte même de dessiner. Mais c'est naturel qu'un dessinateur s'intéresse à un autre dessinateur donc il ne fallait absolument pas tomber dans la facilité qui aurait consisté à s'approcher ou copier  le trait de Josep.

RM : Pourquoi un film 'd'animation  et un premier long métrage  pour vous et pas un album qui est plutôt votre spécialité ?

Aurel : Ce n'est pas quelque chose qui se décide. Moi je suis arrivé au cinéma un peu par hasard : d'abord avec un court métrage qui s'appelle « Octobre noir » dont j'étais co-réalisateur et auteur graphique. Pendant que je terminais ce court-métrage je suis tombé sur l'histoire de Josep. Je me dis qu'il y a matière à un  nouveau sujet de projet d'animation. Donc ce n'est pas réfléchi, ce n'est pas pensé. Mais tout de suite la connexion se fait entre le cinéma et cette histoire-là. Après ça aurait pu capoter souvent, c'est tellement compliqué de faire un film et j'aurais pu décider de partir sur autre chose notamment un album. Mais le cinéma permet quand même quelque de chose de fabuleux car ça rajoute une dimension au dessin, du son, du mouvement, de la vie. Le dessin de Josep  se suffit à lui-même, il n'a pas besoin de moi ni de mes dessins. Si je voulais raconter cette histoire en plus en dessin puisque que c'est ma spécialité, il fallait que j'apporte un souffle et une dimension supplémentaire et seul le cinéma peut le permettre.

RM : un film d'animation peu animé !

Aurel : C'est une décision assez tardive finalement dans les choix de mise en scène . Dans ce que je disais tout à l'heure sur les questionnements, sur pourquoi le dessin, quel est l'intérêt du dessin, pourquoi j'aime ce dessin, cela demande de s'intéresser beaucoup à sa propre pratique. Sur le souffle à donner (ce que je pensais que permettait le cinéma,  ce qui pouvait être le mouvement et donner du mouvement à des dessins) je me suis rendu compte que je ne maîtrisais  pas la technique et je n'avais ni le temps ni l'argent de faire des tonnes d'essais, de me former, de passer des heures et des mois de développement. Cela m'a permis de me recentrer sur ce je savais faire et de me dire que la vie et le souffle ça ne pas être que dans le mouvement mais dans tout le reste qu'offre le cinéma : les effets spéciaux, le son, la musique, les voix. En fait cela suffit largement à faire vivre un dessin et ça m'a permis de combler une frustration de toujours qui est de mettre du son sur mes dessins.

RM : Jean-Louis Milesi est scénariste de ce film, quel a été son apport ? Comment est-il entré dans l'histoire de ce dessinateur, de l'aventure de cet homme ?

Aurel : Son apport a été fort, au delà du fait que techniquement je ne suis pas scénariste ; c'est un métier d'écrire un scénario de long métrage, c'est compliqué. J'étais un petit peu perdu, je dois avouer, dans le foisonnement de cette histoire, de cette vie romanesque, mais j'étais passionné par toutes les étapes, tous les moments, toutes les entrées de lecture et j'avais vraiment besoin d'une vision extérieure. J'ai donc amené toutes mes envies, toute ma documentation à Jean-Louis Milesi qui s'y est plongé . Pour lui, c'était un défi aussi car c'était la première fois qu'il écrivait pour de l'animation et pour un film historique.  Il est arrivé avec cette idée qui nous a un peu défrisé sur le moment mais qui est très très forte sur ce film : l'idée de faire porter la narration par un français, un gendarme qui se lie d'amitié avec le personnage de Josep et qui va nous raconter son histoire, en la racontant à son petit-fils. C'est là où réside toute la fiction du film. Elle était déroutante au début parce que nous nous partions sur quelque chose de très collé à la vie de Josep et finalement il nous a libéré de tout un tas de contraintes en passant par la fiction, en racontant cela du point de vue français qui est aussi une légitimation du fait qu'un réalisateur français, un auteur français, un scénariste français, un producteur français raconte une histoire du peuple espagnol.

RM : Un film d'actualité finalement car une des portes d'entrée c'est quand même le problème des migrants et de l'immigration.

Aurel : En fait je crois qu'on n'a jamais cessé d'être dans cette actualité-là, c'est sûr ! Ce n'est jamais une victoire que des gens quittent leur terre, leur pays et se déracinent. C'est toujours compliqué d'arriver à les accueillir de la bonne manière, que tout le monde accepte d'accueillir de la bonne manière les gens qui arrivent. Mais ce qui me désole quand on regarde l'histoire de Josep et qu'on regarde l’actualité qui n'a pas cessé d'être une actualité depuis 80 ans, depuis « La Retirada » rien n'a changé dans le populisme et dans les conditions d'accueil qui sont faites. La question  n'est pas de savoir s'il faut accueillir tout le monde de façon pérenne et ad vitam æternam, la question c'est de savoir quand il y a des gens qui ont fui une guerre, qui recherchent un peu d'humanité et qui arrive exsangues dans un pays, est-ce qu'on peut les accueillir avec un minimum d'humanité, leur donner à manger, leur donner un toit, leur permettre de se reposer pour pouvoir se poser et réfléchir à la suite ? Si déjà il y avait cela, ça serait déjà beaucoup et même ça, on le leur refuse et c'est terrible.

RM : Sont punis de 135 euros d'amende les gens qui donnent à manger ou à boire à des migrants à Calais ! Dans quel monde on vit ?

Aurel : c'est scandaleux et inconcevable ! J'ai honte de ne pas faire plus moi-même contre cela. Je fais avec mes outils, mon dessin, dans les journaux  j'en parle dès que je peux mais je me dis que les générations futures nous jugeront pour cela comme on juge aujourd'hui ce qui s'est passé en 1939 et l'accueil qui a été réservé aux espagnols.

RM : Il y  a quelques années Hessel disait "indignez-vous !" on ne s'indigne pas suffisamment ?

Aurel  : S'indigner ça ne suffit pas ! C'est déjà très bien, il faut s'indigner, continuer à le faire et le faire encore plus, mais l'indignation ne doit pas se transformer en résignation.

RM : Ce film a reçu beaucoup de récompenses en particulier le César du meilleur film d'animation  ...

Aurel : ....et le prix du scénario au festival d'Athènes ! 

RM : Ce soir à Béziers, projection de ce film à La Cosmopolithèque...

Aurel : ...il n'y a pas de prix ce soir, je crois...

RM : .... pas de prix mais sûrement un apéro...

Aurel : ... c 'est le meilleur prix !

RM : Merci d'être venu à Béziers, merci pour vos dessins et vos combats

Aurel : Merci beaucoup !

Vous pouvez écouter cet entretien sur Radio Pays d'Hérault dans l'émission "Vivre ici" du 14 février, en cliqua,t ICI