On connait bien La Cimade à Béziers car elle s'occupe des demandeurs d'asile, des personnes en situation irrégulière et gère le CADA. On sait moins que la Cimade intervient aussi dans les prisons.
 

La Cimade a 83 ans ! On la connait pour ses missions de solidarité avec les personnes opprimées, exploitées et surtout pour la défense des droits des personnes réfugiées, migrantes quelques soient leurs origines, leurs opinions politiques ou leurs convictions. Tout cela est écrit dans leur charte. Cette association, on la connait bien à Béziers car elle s'occupe des demandeurs d'asile, des personnes en situation irrégulière et gère le CADA. On connait aussi son action dans les Centres de Rétention Administrative, on sait moins que la Cimade intervient aussi dans les prisons.

Marc Duranton est le responsable national des questions prison au pôle enfermement/expulsion de La Cimade.

Il répond aux questions de Robert Martin pour "En Vie à Béziers" et Radio Pays d'Hérault.

 Robert Martin : Marc Duranton, bonjour, La Cimade a publié récemment son rapport sur l'état des prisons et surtout sur la situation des étrangers incarcérés.

Marc Duranton : Ce rapport dit principalement trois choses. La première, c'est que les personnes étrangères qui sont confrontées à une justice pénale ou détenues tout simplement sont invisibilisées, oubliées et  discriminées pendant la période de leur incarcération. Donc une rupture dans l'égalité des droits. Le deuxième point, c'est que la double peine n'a jamais été abolie. On constate qu'aujourd'hui encore et de plus en plus, les personnes étrangères détenues sont confrontées à une sorte de double peine car le risque existe qu'elles soient enfermées en Centre de Rétention Administrative  après leur enfermement en prison c'est à dire qu'elles subissent deux formes d'enfermement  successives pour une seule et même peine. Enfin le constat que l'on dresse c'est que les politiques migratoires ont un impact direct sur la politique pénitentiaire globale. Pour le dire très simplement, la prison devient un objectif à part entière, un moyen pour des politiques migratoires toujours plus répressives ce qui n'était pas forcément le cas il y a encore quelques années.

RM : Votre rapport s'intitule surveiller, punir, expulser, pourquoi ?

MD : Il y a effectivement un objectif de surveillance c'est évident mais également,  et c'est dans la loi et dans le code pénitentiaire, un objectif de réinsertion des personnes qui lui sont confiées. L'idée étant que, certes la prison enferme mais comme la personne va finir par sortir, il faut préparer cette réinsertion. Du coup on se rend compte que ces objectifs sont déjà un petit peu oubliés pour tout le monde, c'est encore plus vrai pour les personnes étrangères incarcérées. L'objectif de réinsertion est complètement oublié au profit de l'objectif d'expulsion et ce en rupture totale avec le principe d'individualisation de la peine  d'une part et puis à l'objectif de réinsertion assigné à nos établissements pénitentiaires.

RM : Les prisonniers quelques soient leurs origines, leurs nationalités, ont des droits. Quels droits sont-ils vraiment bafoués pour les étrangers ?

MD : Il y en a plusieurs mais principalement deux. D'abord l'accès aux droits. Un certain nombre de démarches administratives et juridiques ne peuvent être faites à cause de l'incarcération sans véritable raison. Je pense par exemple à l'accès au droit au séjour pour les personnes étrangères détenues qui perdent la plupart du temps leurs titres de séjour du fait de la détention parce qu'elles ne peuvent pas renouveler leur titre de séjour en étant incarcérées. Un autre souci avec le droit d'asile qui ne s'applique absolument pas en détention et  c'est extrêmement compliqué pour une personne étrangère de déposer une demande d'asile.  Donc problème d'accès aux droits et le deuxième problème que l'on observe dans le cadre de ce rapport ce sont les conditions de détention qui sont beaucoup plus difficiles pour les personnes étrangères détenues notamment  parce qu'il n'y a pas d'interprétariat qui est normalement garanti en détention. Si la personne ne maitrise pas la langue, ne la lit pas ou ne s'exprime pas en français, de fait elle n'est pas en état de comprendre ce qui lui arrive et donc les conditions de détention sont beaucoup plus difficiles pour elle.

RM : Vous n'intervenez pas dans toutes les prisons françaises mais vous êtes présent à Béziers. La situation est-elle particulière dans cet établissement ?

MD : Effectivement La Cimade n'est pas présente partout mais uniquement sur environ 75 établissements pénitentiaires au niveau national. Le but n'est pas d'être présent partout, le but c'est d'être présent sur les sites où on est sûr d'accomplir nos missions d'accès aux droits correctement. Sur Béziers, on retrouve à peu près  les mêmes considérations que sur les autres établissements c'est à dire un taux de personnes étrangères globalement assez élevé par rapport à la moyenne. Mais en dehors de ça, on retrouve à Béziers, les mêmes difficultés que l'on constate dans le reste du pays. Pas de protocole dédié pour accéder au titre de séjour, pas de protocole dédié pour accéder au droit d'asile, etc, etc. Et un "abandon" par les pouvoirs publics d'une partie de la population pénale.

RM : Comment s'organisent  vos interventions dans les prisons ? à Béziers par exemple combien de personnes ?  sous quelle forme intervenez-vous ?

MD : L'exemple de Béziers est assez révélateur de ce qui peut se passer ailleurs. C'est une intervention exclusivement bénévole, pas de salariés qui interviennent au nom de La Cimade. Chaque semaine ou tous les quinze jours, ces bénévoles vont physiquement en détention afin de rencontrer les personnes qui font appel à nous, soit orientées par les travailleurs sociaux de la prison soit qui nous écrivent directement pour demander à nous rencontrer. L'intervention va prendre la forme d'une permanence d'accès aux droits  pour le dire comme cela qui va se dérouler, chaque semaine à Béziers, pendant une demi-journée.  Les équipes peuvent ainsi rencontrer de 4 à 6 détenus. On ne rencontre pas tout le monde car l'équipe repose exclusivement sur des bénévoles et sur leur disponibilité. Au moment où je vous parle, deux personnes du groupe local de Béziers interviennent toutes les semaines en détention.

RM : Vous publiez ce rapport sur les prisons environ tous les deux ans, avez-vous l'impression que rapport après rapport la situation se détériore ?

MD  : C'est effectivement le constat que l'on dresse. On s'en est rendu compte  avec un exemple, symptomatique à notre point de vue. Je vous ai parlé tout à l'heure des liens entre  les centres de Rétention Administratives et les prisons. On constate depuis quelques années une augmentation des allers/retours entre ces deux lieux d'enfermement. Des personnes qui sortent de détention après avoir purgé leurs peines vont être placé directement en CRA et l'inverse est également vrai. Des personnes qui sont en CRA, enfermées contre leur gré en attente de leur expulsion forcée vont être placées en détention si on leur reproche un comportement de nature pénale pour leur rétention administrative. Donc une porosité de plus en plus croissante entre ces deux  lieux d'enfermement. Pour le coup, c'est un phénomène qu'on observe depuis quelques années  qui n'étaient pas dans les conventions, et on parle de milliers de personnes, qui est relativement récent et qui n'a d'après nous, d'autre intérêt que de dégoûter les personnes en les enfermant toujours plus, en leur faisant subir toujours plus le fait d'être une menace. Ces enfermements successifs n'ont aucune utilité car on sait très bien que ces personnes-là ne devraient pas être forcément poursuivies  et surtout que toutes ne seront pas expulsées. Plutôt que les expulser, on va les enfermer en détention. C'est un exemple récent qui nous fait dire que la situation se dégrade. Il existe aussi des phénomènes un peu plus "glissants" qui visent à faire de la personne étrangère une délinquante en puissance, par principe. On entend tout un discours assez nauséabond, que nous estimons nauséeux, qui établit un rapport entre l'immigration et la délinquance et pour le coup c'est un phénomène que l'on observe depuis quelques années qui ne repose sur aucune réalité statistique et aucune réalité tout court d'ailleurs.

RM : La Cimade continue son "œuvre" de soutien, de défenseur des droits en général, et ceux des personnes étrangères en particulier que ce soit en prison ou ailleurs. Vous parliez de débat nauséabond immigration /délinquance et dans cette période électorale, c'est un sujet que certains alimentent ?

MD : Tout à fait ! Donc tout l'intérêt de continuer à accomplir cette mission d'accès effectif aux droits des personnes. Il ne suffit pas de dire que ces personnes ont accès à leurs droits, encore faut-il pouvoir matériellement déposer des recours, enregistrer à la demande, saisir le tribunal, etc . Autant de domaines qu'on estime important car il n'y a pas de raisons que dans un état de droit certaines personnes n'y aient pas accès.  Nous sommes à peu près la seule association à faire ce travail-là en détention auprès de personnes étrangères détenues, à porter leurs voix le cas échéant. Si on ne le fait pas, cela prêtera le flanc à ce discours nauséeux dont on a parlé.

RM : Marc Duranton merci, je rappelle que vous êtes le responsable des questions prisons à La Cimade. Bonne journée !

MD : Merci et bonne journée à vous !

Version audio à écouter sur Radio Pays d'Hérault ICI