La crise économique des années 1930 a frappé l’agriculture avant de toucher les autres secteurs économiques. Dès la fin des années 1920, les prix payés aux paysans amorcent un déclin. Le phénomène est mondial, son origine est déjà liée à la globalisation des marchés alimentaires. Il fallait déjà : soit produire moins cher, soit s’abriter derrière le protectionnisme, soit s’attaquer à la mondialisation capitaliste. La problématique est identique de nos jours.
(2) la grande dépression viticole
En France, le vin vient immédiatement après le blé pour son importance économique et affective.
Dorgères, le chef des chemises vertes, disait que le vin et le blé étaient des « denrées électorales », de leur destin dépendaient les élections et la durée de vie des gouvernements.
En 1930, les vignerons étaient plus nombreux que maintenant (1 500 000) et représentaient une famille sur six.
Les grandes difficultés rencontrées par le monde viticole entre les deux guerres avaient leur origine dans le dernier quart du 19e siècle avec le phylloxera, un puceron qui a détruit plus de la moitié du vignoble français dans les années 1870 et 1880.
La solution était venue de la greffe de cépages locaux sur des plants américains sauvages.
Dès le début des années 1900, les vins bon marché du Languedoc inondent la France. La révolte des petits vignerons du Midi en 1907 entraîne une régulation du marché, mais elle ne protège pas des importations des vins d’Algérie. Algérie qui avait triplé sa production entre les deux guerres.
Depuis longtemps l’État contrôle les quantités de vin produites et vendues pour des raisons fiscales. Avec la crise de surproduction, il tente de contrôler le marché en achetant les excédents pour les distiller.
Dans les années 1930, l’État amplifie la régulation et la règlementation de la production viticole. Il conditionne le choix des cépages, l’irrigation, le stockage, la distillation, les importations, la plantation, l’arrachage.
Environ 56 000 hectares de vignobles sont ainsi arrachés en 1935/1936, seulement un tiers de ce qui était prévu.
Le droit d’utiliser les « appellations d’origine » devient plus strict.
Ce qui a été fait pour le vin n’a jamais été fait pour le blé à l’échelle nationale. Ce qui montre la place particulière de cette production agricole.
Malgré ces problèmes endémiques (et toujours présents de nos jours !) Dorgères et ses chemises vertes ne tirent pas parti des difficultés nées de la crise viticole.
Le Midi viticole est politiquement à gauche et le « Dorgérisme » ne trouvera pas d’espace pour s’y engouffrer.
Il n’en est pas de même dans la vallée de la Loire. En raison d’un moindre ensoleillement, le vin doit être chaptalisé, ce qui est interdit dans le Midi. Victime de la concurrence économique intérieure, la vallée de la Loire est la seule région viticole où Dorgères trouve un soutien notable chez les viticulteurs.
Dernière étape de notre tour de France viticole, les bouilleurs du cru, les fabricants à domicile d’alcool (dont les droits étaient profondément enracinés dans les particularismes locaux et dans la résistance à l’État).
La distillation à domicile avait été interdite au nom de la guerre (l’alcool entre dans la fabrication des explosifs), elle est partiellement restaurée en 1923, mais soumise à une imposition et une règlementation jugée insupportable.
Entre les deux guerres, les bouilleurs de cru se battent pour le rétablissement de la liberté de distillation.
La Normandie, terre du Calvados, est la région où le « Dorgérisme » est particulièrement implanté mais il est dépassé dans les actions directes par une base prête aux actions coup de poing avec ou sans « leader ».
Au plus fort de la crise économique dans les années 1930, les viticulteurs sont convaincus que l’État dirigiste aggrave leur situation. Ils voient dans la crise un sacrifice volontaire de leurs intérêts par une République soucieuse des seuls besoins de la classe moyenne et des ouvriers.
Pour certains d’entre eux, le salut passe par un changement de régime.
Chez les paysans de tous les secteurs de l’agriculture française, les appels à la violence et à la lutte contre les « messieurs de la ville » trouvent un écho différencié mais certain.
Mais la carte du « Dorgérisme » ne recoupe pas exactement celle de la souffrance paysanne.
Il nous faudra regarder dans l’épisode 3 de cette série, la semaine prochaine, du côté des dimensions politiques et culturelles pour comprendre comment les chemises vertes ont pu implanter une forme de « fascisme rural » dans la paysannerie.