En 1996, l’historien Robert O. Paxton écrivait un livre injustement méconnu sur les révoltes paysannes et le fascisme rural dans les années 1930. Il précisait que ce « fascisme au village » traduisait la nostalgie d’une « nation paysanne » opposée à la « modernité urbaine ». Près d’un siècle plus tard, les mêmes grandes oppositions semblent à l’œuvre.(1)

  • (1) Il s’appelait Henry Dorgères

Henry Dorgères était entre les deux guerres, un agitateur de droite du monde paysan : « Haut les fourches », le titre de son livre de 1935, était devenu sa marque déposée.

À travers ce slogan il appelait les paysans à prendre leur destinée en main, par la violence s’il le fallait.

 Pourtant Dorgères n’avait jamais tenu une fourche. Il était le fils d’un modeste boucher du Nord et se nommait en réalité Henri-Auguste d’Halluin ( Dorgères était son nom de plume ).

Selon la formule lapidaire d’un de ses contemporains, il était plus formé à l’art oratoire qu’à l’art aratoire. Mais il avait une compréhension des griefs et ressentiments des paysans français des années 30 et un don pour les transcrire en paroles.

En 1935, au faîte de sa gloire, Dorgères avait mis sur pied ce qu’il revendiquait comme le mouvement paysan le plus vigoureux et le plus authentique du pays.

Il dirigeait un petit empire de presse agricole et son réseau de « comités de défense paysanne » avait l’ambition de couvrir toutes les communes rurales du pays. Dans les faits, il était surtout puissant dans le Nord et dans l’Ouest.

Ce dispositif était complété de « brigades d’action » composées d’hommes jeunes « Les chemises vertes ». Elles étaient chargées du service d’ordre des réunions publiques et des opérations punitives contre les grévistes et ceux qu’il présentait comme : « les ennemis du monde agricole ».

L’ensemble du mouvement relevait d’un « Comité central de défense paysanne » dont les locaux étaient à Paris. À la veille de la Seconde Guerre mondiale, son organisation revendiquait 420 000 inscrits. Certaines des réunions publiques tenues par Dorgères ont été les plus importantes qu’ait connues la France rurale.

Dorgères, dernier citadin qu’une masse considérable de paysans a accepté comme chef, a participé à l’introduction de quatre nouveautés majeures dans le monde rural :

  • Il a remplacé les notables ruraux par des paysans à la tête des organisations agricoles,
  • Il a donné une très forte impulsion au rêve d’une unité du monde agricole,
  • Il a organisé la plus grande des rébellions paysannes contre la république parlementaire depuis la chouannerie des années 1790,
  • Il a contribué à la prise de conscience, par l’opinion publique du problème de l’équilibre entre ville et campagne.

En se réclamant d’un État autoritaire et corporatiste au prix d’un renversement de la République s’il le fallait, Dorgères se plaçait dans le « champ magnétique » du fascisme.

Si quelqu’un était capable de détacher de la République un grand nombre de paysans et de créer une sorte de fascisme rural, c’était bien Henry Dorgères. Mais dans les faits, le Dorgérisme aura surtout été la version paysanne de l’extrême droite antirépublicaine.

Le livre de R.O. Paxton a un immense mérite, celui de faire connaître l’importance de la colère paysanne dans le succès et les échecs du fascisme en France. Il nous dit une chose : c’est dans les campagnes que l’on peut le mieux étudier les potentialités et les limites d’un fascisme français dans les années 30.

Par un curieux retournement de l’histoire, ces potentialités et ces limites sont de nouveau à l’ordre du jour dans la paysannerie française. Nous en aurons une première indication dans les élections aux chambres d’agriculture en janvier 2025 et aux rapports de force qui vont en résulter.

Pendant quelques épisodes, je vous invite à des allers/retours entre passé et présent.

Car c’est en ayant le passé en tête qu’on se donne les moyens de comprendre l’avenir.

(Le livre de R.O. Paxton « Le temps des chemises vertes » révoltes paysannes et fascisme rural 1929 – 1939 a été édité en 1996 aux éditions l’univers historique chez Seuil. À ma connaissance, il est épuisé et n’a pas été réédité depuis.)

 

 

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