C'est donc mon grand-père Delfin Fernandez Médiavilla qui se trouve parmi ces 33 prisonniers arrêtés le 8 octobre 1934 par la garde civile dans la montagne, près du village de Brañosera. (voir article précédent)
Cette photo signée du photographe Piortiz, correspondant du journal ABC à l’époque, a été prise dans ce petit village de la province de Palencia, communauté autonome de Castilla-y-Léon, à 3 km du centre minier de Barruelo de Santullan.
Le nord de la province de Palencia est un site minier important depuis la fin du 19ème siècle avec deux mines principales à Guardo et Barruelo de Santullan, propriétés de "Ferrocarriles del Norte".
Mon grand père y est embauché dès 1921, à 16 ans, comme "rampero fijo" jusqu'en 1924 puis il sera "picador" (et ça n'a rien à voir avec la corrida !). Dans la région, à cette époque-là, les hommes sont soit mineurs soit paysans. Il sait lire et écrire comme indiqué sur sa fiche d'embauche.
Le site minier de Barruelo de Santullan, comme celui de Guardo, est une île noire dans cette mer de blé (ocre, verte, or suivant les saisons) qu'est la province de Palencia. La population va tripler de 1900 à 1934 passant de 3000 à 9000 habitants environ. C'est l'âge d'or des années 20 et la production de charbon ne fait qu'augmenter dans ces mines grâce à des installations relativement modernes. En 1928, 200 000 tonnes sont produites avec 1500 mineurs. La crise de 1929 fait décroître l'activité minière et l'arrivée de la 2ème république en 1931 n'apporte pas d'améliorations concernant la demande et donc la production. Et encore moins l'arrivée au pouvoir de la droite en 1933 qui entame immédiatement des réductions de personnel et la perte d'avantages acquis par les mineurs.
En 1934, Barruelo de Santullan compte près de 3000 mineurs, très politisés et très organisés en particulier dans leur syndicat ("sindicato minero castellano") créé aux alentours de 1918. Les mineurs de Barruelo ont toujours unis leurs forces avec des objectifs communs même si le syndicat est d'obédience socialiste affilié à l'UGT avec près de 900 syndiqués en 1934 dont 70 environ issus de Brañosera, le village où vit mon grand-père et sa famille. C'est une véritable force syndicale d'innovation sociale.
Ses principales activités consistent à défendre les intérêts des mineurs, à organiser la lutte pour de meilleurs salaires, de meilleures conditions de travail, à obtenir des financements pour les blessés, les orphelins, la santé. Après les grèves, il faut lutter pour la réintégration des expulsés, subvenir aux besoins des familles des grévistes et maintenir des contacts avec les autres syndicats socialistes de la région.
Les conflits sont très nombreux depuis le début du siècle et le syndicat se renforce encore suite à l'arrivée des mineurs du village voisin de Vallejo de Orbo, mine qui sera rattachée à Barruelo. Cela va permettre au syndicat ouvrier de supplanter les syndicats catholiques.
Forcément, les conflits du travail sont nombreux : caisse de secours, hausses de salaires, mesures de sécurité, mais au delà de ces conflits le plus souvent victorieux, c'est un affrontement plus social et plus large que se livrent d'un côté le patronat et de l'autre le puissant syndicat des mineurs. L'entreprise défend une ligne patronale, catholique et conservatrice. Le syndicat s'appuie sur des idées prolétariennes, anti cléricales et de gauche.
L'inauguration de la Maison du peuple construite par les mineurs eux-mêmes en 1928 avec son théâtre-cinéma, ses salles de réunion et de loisirs, son bar marque un moment important de la puissance du syndicat. Á ses activités sociales, se rajoutent celles du Parti Socialiste lui-même dont mon grand-père est adhérent ainsi que celles des jeunesses socialistes.