La richesse et le poison se sont conjugués autour d’une mine, dans une vallée de l’Aude, à Salsigne. Pendant trois ans, Nicolas Rouillé, a collecté la parole des mineurs et des habitants. Il l’a retranscrite dans un livre coup de poing qui évoque la richesse de la mémoire ouvrière et le poison de la pollution industrielle : l’or et l’arsenic. EVAB vous propose des extraits de cette parole qui alterne entre rire et pleurs.

Salsigne, qu’es aco ? Petit précis d’histoire locale populaire (1)

  • Ça date des Romains, cette histoire de mines. Ça fait quand même une paye !

 

  • On pensait que les Barrencs était une mine romaine parce qu’il y a beaucoup d’amphores dans le secteur, mais en fait l’exploitation a démarré bien avant la conquête romaine. Cette mine est particulière à plusieurs titres. D’abord, c’est une exploitation importante sur plus de 10 mètres de hauteur et plusieurs centaines de mètres de développement à l’horizontale.

 

  • On a un trou, en quelque sorte, après l’époque romaine. Ensuite, fin 11e – début 12e siècle, nous avons l’exploitation de ferrières à Carrus, à côté des Ilhes-Cabardès. Ce n’est pas exactement une mine, c’est plutôt le grattage de failles dans lesquelles il y a du minerai. Carrus est exploitée à cette époque-là par les seigneurs de Cabaret. Cabaret c’est l’ancien nom de Lastours.

 

  • À Carcassonne, après la première croisade des albigeois, c’est la misère, et donc une grande partie des intellos, des chefs cathares, l’évêque, tous ces gens-là, on les met à l’abri au « castrum » de Cabaret.

 

  • Quand les troupes royales arrivent à Lastours, elles donnent la nuit aux gens pour dégager. Le seigneur se rend. Il y a un tableau où tu vois la file des Carcassonnais qui s’en vont, à poil, et l’armée autour pour pas qu’ils emportent la moindre petite pièce. On a retrouvé un brasero avec la poêle dessus et la truite en train de cuire. Ils sont partis comme ça, en dix minutes, ils n’ont même pas eu le temps de manger leur truite !

 

  • Et après, les troupes du roi, tout ce qui vaut quelque chose, elles le prennent, et le reste, le château, les maisons, les archives, ils détruisent tout, et toi, sept siècles après, en fouillant dans les éboulis, tu vas tomber sur une poêle avec une arrête de truite !

 

  • Donc c‘est une région qui a une histoire très riche, très intéressante, qui a tout le temps été un carrefour de voies de communication. Si on hérisse une région de châteaux, c’est parce qu’il y a des choses à défendre, des routes commerciales à protéger ou à rançonner.

 

  • En 1892, un chimiste qui travaille pour Marius Esparseil, le concessionnaire des mines de Salsigne et de la Caunette (dans l’Hérault) découvre qu’il y a aussi de l’or dans le minerai. Ce qui est prioritaire à l’époque, c’est plutôt l’arsenic, qui est vendu aux Anglais. Il entre dans la fabrication des verres. Mais quand même, on trouve de l’or, et en quantités intéressantes pour l’exploitation. On est à des teneurs qui sont de 100 grammes, 120 grammes par tonne de minerai extrait. À titre de comparaison, sur la fin l’exploitation, dans les années 2000, c’était 4 à 5 grammes par tonne.

 

  • Après la première guerre mondiale, en une semaine, on va passer d’un capital de 10 000 franc-or à 6 millions de franc-or. Il y a les capitalistes de la famille Peugeot qui sont derrière, entre autres, c’est côté en bourse à Londres et tutti quanti. Donc on va dire qu’à partir de 1924, on a un regroupement industriel et un développement avec comme axe l’or, mais aussi l’arsenic.

 

  • Tu vois toutes les strates depuis ici, la Préhistoire, les Gaulois, les cathares, la mine . . . jusqu’aux éoliennes et aux panneaux photovoltaïques. C’est comme des couches de mémoire. Et à chaque fois, il n’en reste pas grand-chose.

 

(Ce texte est un extrait des paroles recueillies dans le livre de Nicolas Rouillé « L’or et l’arsenic », édité aux éditions Anacharsis dans la collection les ethnographiques, il est paru en février 2024. Je vous en recommande vivement l’achat et la lecture.)

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