Le 27 mai 1968, voilà exactement 53 ans, les négociations entre le pouvoir, le patronat et les syndicats accouchent des « Accords de Grenelle » .
Cet accord doit mettre un terme à une contestation sociale de près de deux mois. A compter du 13 mai 1968 les salariés se joignent aux étudiants. Les syndicats ouvriers et la Fédération de l'Éducation Nationale déclenchent ce jour-là une grève générale et appellent à rejoindre les étudiants qui manifestent depuis le début du mois.
Ce jour-là un immense cortège contestataire traverse Paris aux cris de "10 ans, ça suffit !" Les syndicats ouvriers et la fédération de l'Éducation, tous les syndicats, CGT en tête, espèrent que cette manifestation va canaliser l’ardeur des étudiants et empêcher la contamination des ouvriers par une contestation qu’ils ne comprennent pas et qui sort complètement de leurs schémas d’actions et de revendications habituels. (voir Une autre histoire du 13 mai dernier : https://www.envieabeziers.info/societe/une-autre-histoire-13-mai-1968-la-france-manifeste-contre-de-gaulle)
La grève générale symbolique doit s’arrêter à cette seule journée. Raté ! elle se poursuit !
A partir de la manifestation du 13 mai 1968, les évènements se précipitent et prennent un tour politique et social radical. La grève générale se propage partout en France. Les évènements de 68 commencent vraiment !
Dès le 14, les ouvriers de Sud Aviation à Bouguenais débrayent en masse. Rapidement, les grèves s’étendent à tout le pays et la France se retrouve bientôt complètement paralysée. De Gaulle, qui qualifie dédaigneusement les évènements de « chienlit » préfère laisser Pompidou, premier ministre, seul en première ligne. Mais la machine syndicale est bien trop forte, trop bien huilée et bien trop ancrée dans le monde ouvrier. Petit à petit, les syndicats reprennent la main et décident d’isoler les « gauchistes étudiants ». Ceux-ci rêvent d’une alliance spontanée avec les ouvriers. Peine perdue.
A Billancourt, les ouvriers de Renault ferment les portes à leur manifestation de soutien. Mais en sclérosant les mouvements grévistes, les syndicats ratent une occasion en or d’étendre le conflit à toutes les couches des salariés.
Dans toute la France, les paroles se libèrent. Partout ont lieu des réunions ouvertes où se déroulent des débats enflammés. Au théâtre de l’Odéon, à Paris, on peut entendre pêle-mêle des ouvriers, des étudiants, des syndicalistes, des artistes, des cadres et même de simples passants. Même le très consensuel festival du cinéma à Cannes ne peut échapper à ce nouvel élan de démocratie si désordonnée. On provoque des « assemblées générales », on vote des « motions » qui sitôt publiées dans la presse ou sur des tracts sont oubliées et remplacées par d’autres.
D’abord plutôt en faveur des étudiants matraqués par les CRS, l’opinion publique commence à se lasser des grèves qui perturbent profondément la vie quotidienne et observe d’un œil de plus en plus méfiant et inquiet ce mouvement qui menace de mettre à bas les fondements de la société. En coulisse, le pouvoir entame des négociations secrètes avec les syndicats.
Le 24 mai, après l’annonce très floue d’un référendum de la part de De Gaulle, une nouvelle nuit insurrectionnelle achève de convaincre le Parti Communiste et les syndicats qu’ils ont tout intérêt à saisir la main de la concertation tendue par Pompidou.
Le 27 mai, les négociations entre le pouvoir, le patronat et les syndicats accouchent des « Accords de Grenelle » dont la mesure la plus symbolique est une augmentation de 35 % du SMIG (salaire minimum interprofessionnel garanti) et de 10 % en moyenne, pour les autres salaires. Mais on trouve également dans cet accord un texte sur la réduction de la durée du travail, un assouplissement de l'âge de la retraite et augmentation du minimum vieillesse.
Mais là encore, les syndicats sont dépassés par leur base. Les ouvriers se méfient et refusent en bloc les accords. La grève continue. Le mouvement devient de plus en plus politique. La gauche modérée, représentée par Mendes-France ou Mitterrand, commence à placer ses billes pour une alternance au pouvoir gaulliste et organise un grand meeting populaire à Charléty. Le 29 mai, à la stupeur générale, le général de Gaulle disparait.
En réalité, il est parti en secret pour Baden-Baden en Allemagne consulter le fidèle général Massu. Pourquoi ?
L’absence soudaine du général plonge le pays dans l’angoisse et la confusion. On semble au bord d’un basculement politique, dramatique et irréversible. De Gaulle a-t-il voulu jouer sur les peurs des Français ? A-t-il eu une vraie faiblesse ? A-t-il fait un réel calcul politique ? La suite va en tout cas lui donner raison. Le 30 mai, de retour à Paris, il accepte la proposition de Pompidou et déclare la dissolution de l’Assemblée Nationale. L’après-midi même, une grande manifestation de soutien est organisée sur les Champs-Elysées par les Gaullistes qui estiment la participation populaire à plus d’un million de personnes - contre 300000 pour la police. Dans un discours enflammé depuis l’Elysée, de Gaulle dénonce un mouvement d’intimidation et d’intoxication sciemment organisé, en appelle à l’expression souveraine du peuple français lors des élections législatives anticipées, et menace, pour garantir l’intégrité de la République, de mettre en œuvre l’article 16 de la constitution lui accordant les pleins pouvoirs si les évènements l’y contraignent.
De fait, dès le 31 mai, l’armée reprend le contrôle d’émetteurs de l’ORTF occupés. Des chars convergent vers Paris et d’autres unités sont stationnées non loin. Le parti communiste voit dans les élections une aubaine pour renforcer ses positions politiques et manœuvre en sous main pour faire cesser les grèves.
L’essence revient dans les stations service, et peu à peu, les piquets sont levés à l’entrée des usines, non sans quelques échauffourées très violentes avec les CRS venus chasser les derniers récalcitrants comme à Flins ou à Sochaux. Le 12 juin, plusieurs organisations d’extrême gauche sont dissoutes. Du 14 au 16, la police fait évacuer sans heurt l’Odéon et la Sorbonne. Les principaux leaders du mouvement étudiant sont fermement marqués à la culotte - Daniel Cohn-Bendit en l’occurrence est interdit de séjour sur le territoire et exilé en Allemagne. Enfin, alors que les dernières grèves s’achèvent, une grande purge s’abat sur tous les journalistes de l’ORTF soupçonné de sympathie avec l’extrême gauche.
Les 23 et 30 juin, les élections législatives voient un véritable raz de marée pour les Gaullistes qui obtiennent une majorité absolue sans précédent à l’Assemblée Nationale. Dans les urnes, les Français ont urgemment voulu mettre fin à la crise.
Contrairement à ce que de Gaulle a affirmé dans son discours du 30 mai, le mouvement de mai 68 n’a pas été prémédité en sous main par des groupuscules d’extrême gauche organisés pour provoquer une révolution contre le pouvoir gaulliste et le renversement de la République. En fait, cette explosion brutale et spontanée, provoquée à la base par une contestation étudiante devenue rapidement incontrôlable et récupérée tant bien que mal par les syndicats et les politiques de gauche, a été le révélateur d’une aspiration libertaire profonde mais finalement désordonnée, illusionniste et parfois même utopique. Pourtant, souvent qualifiée de « révolution manquée », la contestation de Mai 68 aura des conséquences économiques, politiques mais surtout culturelles et morales très profondes et très durables qui marquent encore aujourd’hui de leur empreinte la société française, des plus hautes institutions de l’État jusqu’à la cellule familiale, en passant par toutes les couches socio-culturelles du pays.
Certains pensent que la situation actuelle mériterait peut-être un nouveau Mai 68 sur le plan politique, économique, culturel et sûrement écologique ...
mais c'est une autre histoire !