La période ouverte par Mai 68 a duré plus de dix ans. Énoncée comme ça, cette affirmation peut faire croire à une galéjade. Pourtant je vous l’assure, « Mai 68 » a duré plus de dix ans.
En Mai 1968, j’ai 13 ans, je manifeste avec mes parents qui étaient des militants syndicaux membres du PCF. Je me rappelle du sentiment diffus mais collectif qui flottait dans l’air : celui de pouvoir soulever les montagnes.
Pour moi Mai 68 a duré plus de dix ans, d’une part parce que Les effets de la grève générale se sont clos avec l’arrivée au pouvoir de Mitterrand en 1981, d’autre part parce que cette décade à été marquée par des luttes radicales d’ampleur, quasi incessantes.
Les effluves de Mai 68 me rattrapent en mars-avril 1973 au moment de la mobilisation de dizaines de milliers de lycéens contre « la loi Debré » qui réforme le régime des sursis d’incorporation au service militaire.
Le service militaire (que Macron veut rétablir avec le SNU) est alors vécu comme un immense bizutage, une sorte de rituel de passage obligé d’avant la vie salariée.
Symboliquement, il faut apprendre à obéir aux militaires comme il va falloir obéir aux patrons.
L’effet « retraite inversée » de la loi Debré (avancement de l’âge d’incorporation) génère une angoisse et une colère au moins comparables au ressenti des mobilisations actuelles contre le projet de loi gouvernemental.
De nombreux lycéens s’engagent en politique à cette occasion. J’en ai fait modestement partie.
A cette époque un syndicat l’UNCAL (Union Nationale des Comités d’Action Lycéens ) organise les mobilisations. Il regroupe toutes les tendances de gauche et d’extrême gauche. Je suis alors membre de la Ligue Communiste Révolutionnaire.
Au lycée Jules Fil de Carcassonne où je suis scolarisé la plupart des tendances sont représentées. Elles cohabitent et fonctionnent avec efficacité et intelligence.
La mobilisation contre la loi Debré scelle mon engagement, avec des hauts et des bas il dure jusqu’à maintenant.
La suite va être un tourbillon ininterrompu d’engagements et de mobilisations.
Lors de l’assassinat du militant libertaire Salvador Puig Antich en 1974 dans une prison de Barcelone, nous arrêtons le Talgo en gare de Carcassonne, nous le taguons d’inscriptions antifascistes et antifranquistes. Des arrêts prolongés seront nécessaires pour les effacer avant l’entrée en Espagne.
En 1975, nous nous rendons au Portugal pour soutenir la révolution en cours, puis à Barcelone après la mort de Franco pour un immense rassemblement de centaines de milliers de personnes.
En 1976 à Montredon dans l’Aude, une manifestation viticole tourne à l’émeute et à l’affrontement armé.
En 1977 / 1978, participation à l’action des comités de soldats dans les casernes, nous sommes invités sur le plateau du Larzac. Convoyés masqués, en uniforme, sur des motos nous atteignons par des chemins détournés le lieu du rassemblement. A notre arrivée des milliers de poitrines scandent « soldat sous l’uniforme, tu restes un travailleur ».
De 1978 à 1981 je migre vers le chaudron toulousain pour une autre aventure. Scolaire et professionnelle d’abord, puisque j’intègre une école de travailleurs sociaux. Politique aussi dans une ville où l’extrême gauche est très forte. Ces années toulousaines sont marquées par :
- Les manifestations de 1978 contre la coupe du monde en Argentine et contre la dictature,
- Les manifestations de 1979 dans la sidérurgie en France avec des gros conflits dans les usines d’aviation de Toulouse,
- La grève des mineurs du bassin houiller d’Alès en 1980 / 1981 qui va durer 13 mois,
- La lutte du Larzac.
Le soir du 10 mai 1981, jour de l’élection de Mitterrand comme Président de la République des dizaines de milliers de manifestants (30 000 dans mes souvenirs) manifestent sur les boulevards de Toulouse. La légende raconte que les portes de la mairie au Capitole ont failli céder sous la pression des manifestants. Je ne sais pas si c’est vrai.
Je sais, par contre, que les effets d’une grève générale victorieuse ont favorisé un rapport de forces pendant plus de 10 ans après Mai 68.
Je souhaite à tous ceux qui vont rentrer en politique à l’occasion des mobilisations contre la réforme des retraites de connaître une grève générale victorieuse.
Je leur souhaite la décade de mobilisation et d’inversion des rapports de forces qui suivra.
L’environnement, le climat, le social, l’économique, la culture en ont grandement besoin.
Ils ont besoin de nous, ils ont besoin de vous.
Ensemble le 7 mars et après on peut écrire « l’histoire ! »