Comprenant très vite que le remplacement d’un régime politique dictatorial par un régime démocratique est quasiment assuré, les Portugais s’engagent dans une révolution sociale dès le mois de mai 1974 jusqu’au mois de novembre 1975.

Le 2 mai 1974, le quotidien « Republica » titre : « Des kilomètres et des kilomètres de foule. Un peuple en liesse ».

Dans tout le pays, deux millions de personnes célèbrent le 1er mai en toute légalité.

Des manifestations ont lieu dans tout le pays. À Lisbonne, deux manifestations sont organisées. La première lancée par les syndicats, le Parti communiste portugais (PCP), et le Parti socialiste portugais, rassemble près de 500 000 personnes. La seconde manifestation, le « 1er mai rouge » convoquée par des partis d’extrême gauche réunit 40 000 personnes.

Les premières revendications sociales sont formalisées dans tous ces rassemblements.

La plupart des grèves qui vont démarrer remettent en cause les centres de pouvoir, la gestion et la propriété des entreprises. Elles passent très souvent par l’occupation des lieux de travail, des séquestrations de patrons et de directeurs.

300 conflits d’entreprises et d’usines éclatent entre mai et juin 1974, ils vont se maintenir à une centaine par mois en moyenne jusqu’au mois de novembre 1975.

L’aspect le plus frappant de ces conflits sociaux est la radicalité. Il s’agit, de grèves dites « sauvages », décidées en assemblées démocratiques et le plus souvent organisées par les « commissions de travailleurs » qui surgissent spontanément pour combler le vide laissé par 48 ans d’interdiction des organisations syndicales. Elles sont convoquées en marge du Parti communiste et du Parti socialiste (les deux partis sont alors au gouvernement) et indépendamment des syndicats, qui sont en train de se constituer.

Le cahier de revendications que présentent en mai 1974 les deux mille travailleurs en grève de l’usine américaine de montres « Timex » est composé de 23 points qui vont des classiques revendications salariales à celle d’une garderie.

Le 21 mai 1974, la commission de travailleurs de l’usine « Efacec-Inel » qui fabrique des composants électroniques signale dans son premier communiqué qu’elle « se limite simplement à écouter et transmettre toutes les décisions des travailleurs ».

Les travailleurs de l’entreprise de transport aérien « TAP » exigent l’ouverture d’un processus devant aboutir à l’autogestion.

La formation, le 16 mai 1974, du premier gouvernement provisoire de « front populaire » composé de communistes, de socialistes et de libéraux n’apaise pas les conflits sociaux.

Le 24 mai, la décision gouvernementale d’approuver un salaire minimum de 3300 escudos (inférieur aux revendications) ne fait qu’augmenter l’épidémie de grèves et d’occupations.

Un type particulier de grève apparaît au cours de cette période : la grève de solidarité. Le gouvernement va l’interdire en promulguant la loi sur la grève d’août 1974.

En empêchant les travailleurs de s’organiser pour permettre la modernisation capitaliste du pays, la bourgeoisie portugaise a bâti sa fortune et sa perte. Il va lui falloir près de 2 ans pour reprendre la main.

Au printemps 1974, la situation de vide organisationnel laisse un espace immense et rare dans l’histoire. Cet espace permet à des organisations de base de se constituer sans délai. Elles prolifèrent dans tout le pays.

Dans les quartiers naissent les commissions d’habitants. Elles répondent au besoin de garantir des logements dignes aux couches les plus pauvres de la population.

Les commissions de travailleurs et d’habitants se révèlent problématiques pour les partis politiques qui essaient vainement de gouverner le pays en maintenant la production et en s’efforçant de préserver la propriété privée et la hiérarchie fonctionnelle.

Une situation de « double pouvoir » va s’installer durablement.

En dix-neuf mois de processus révolutionnaire, le Portugal va connaître six gouvernements provisoires.

(Cet article est issu de notes de lecture du livre de Raquel Varela « Un peuple en révolution, Portugal 1974-1975 » paru aux éditions Agone, édité en 2018, 24 euros, 395 pages, je vous en recommande la lecture)

Un documentaire sur Arte TV aborde en ce moment l’aspect géopolitique de la révolution portugaise.