L’arrivée de la deuxième République le 14 avril 1931 suscite un immense espoir chez les ouvriers et les paysans de l’État espagnol. Cet espoir sera combattu par la droite et l’extrême droite, déçu par un gouvernement de centre gauche incapable de faire appliquer les réformes qu’il initie.

Épisode 2 : pendant la seconde république, la guerre sociale

À droite, beaucoup pensent que l’Espagne est le second front de la guerre contre la révolution mondiale.

Face à cette « menace » les partis de droite et d’extrême droite se disposent en conséquence. Leurs attaques incessantes vont miner l’action gouvernementale.

En juin 1931, le journal « El Siglo Futuro » déclare que trois des ministres les plus conservateurs sont juifs et que la République est le résultat d’un complot juif.

Face à ce complot, la droite demande que la « Guardia Civil » et l’armée viennent défendre l’ordre économique existant contre la menace révolutionnaire.

Le rôle répressif de l’armée et de la « Guardia Civil » dans les conflits sociaux de l’Espagne est perçu par la droite comme le cœur du devoir patriotique.

Dans un contexte ou toute réforme sociale si minime soit-elle est vouée à l’échec, le 13 octobre 1931, Manuel Azana, ministre de la guerre, futur premier ministre et président, déclare : « l’Espagne a cessé d’être catholique ». Il veut simplement dire que la laïcisation de la société est indispensable pour devenir un État moderne.

À droite, la rhétorique haineuse du complot judéo-maçonnique est aussitôt enclenchée.

L’autre facteur qui fomente la violence est la réaction des propriétaires fonciers aux différentes tentatives de réformes agraires.

Les dirigeants du « Bloque Agrario », parti des propriétaires terriens, incitent leurs membres à ne pas payer d’impôts et ne plus planter des semences.

Malgré le décret du 1er juillet 1931, qui impose la journée de 8 heures dans l’agriculture, la norme reste la journée de 16 heures, sans paiement d’heures supplémentaires.

Face à ce mépris de classe, le désespoir des « jornaleros » ne peut plus être contenu que par une intensification des actions de la « Guardia Civil ».

Le comportement des propriétaires terriens n’est qu’une manifestation de l’hostilité sans équivoque des classes dirigeantes envers le nouveau régime.

Dans la lutte contre les ambitions réformatrices de la République, ils occupent la ligne de front.

D’un point de vue social, les ouvriers et les paysans confrontés à l’intransigeance et à la violence patronale s’impatientent et ne comprennent pas que la République tergiverse.

Dans les 6 premiers mois de la République, on recense 508 grèves révolutionnaires.

Face à cette radicalisation, le 21 juillet 1931, le ministre du Travail, le socialiste Francisco Largo Caballero ( qui appellera en octobre 1934 à la grève insurrectionnelle, nous y reviendrons ), exige que son collègue le ministre de l’Intérieur agisse avec fermeté pour mettre un terme aux troubles sociaux qui : « Nuisent à l’image de la République ».

La nuit du 22 au 23 juillet 1931, l’extrême droite est autorisée par le gouvernement à participer à la répression des grèves de Séville. Au total 17 grévistes sont tués.

Les évènements de Séville sont symptomatiques des affrontements dans toute l’Espagne.

À Barcelone, une grève dans l’industrie métallurgique voit 40 000 ouvriers débrayer en août.

Côté gouvernemental, les républicains tentent d’avancer sur des réformes sociétales. Ils comprennent que le pouvoir du système éducatif de l’Église doit être remplacé par des écoles laïques. Mais ils ne veulent pas affronter la bourgeoisie avec le soutien des ouvriers et des paysans.

De son côté, l’extrême droite ne tergiverse pas. Le 13 octobre 1931, José Maria Gil Roblès déclare : « L’Espagne catholique prend position. Vous serez responsable de la guerre spirituelle qui va être déclarée en Espagne ». Cinq jours plus tard, il appelle à une croisade contre la république.

Début novembre 1931, le leader monarchiste Antonio Goicoechea déclare : « Il y aura une lutte à mort entre le socialisme et la nation ».

En janvier 1932, les cimetières sont placés sous juridiction municipale. L’État ne reconnaît que le mariage civil. Les époux mariés par l’Église doivent également passer par la mairie. Certaines municipalités retirent les crucifix des écoles et les statues religieuses des hôpitaux publics.

Quand la coalition socialo-républicaine déclare son intention d’améliorer le quotidien des journaliers, l’hostilité des propriétaires au nouveau régime se manifeste par une violence sans retenue.

Le 5 janvier 1932, 28 gardes civils ouvrent le feu sur une manifestation pacifique à Arnedo, petite ville de la province de Logroño, dans le nord de la Castille. On dénombre 5 morts et 50 blessés par balles.

Le 18 janvier 1932, des mineurs insurgés s’emparent de la ville de Figols dans la province de Barcelone. Le mouvement gagne tout le nord de la Catalogne. Pendant plusieurs jours la grève est totale.

Le 21 janvier 1932, le Premier ministre Azana affirme aux Cortes que l’extrême droite manipule les grévistes. Il déclare que tous ceux qui occupent les usines et les terres seront traités comme des rebelles.

Il décide d’envoyer l’armée, d’appliquer la loi de défense de la République, des suspendre la presse anarchiste, de déporter les leaders de la grève.

Dans les mois qui suivent Arnedo, la garde civile est mêlée à de nombreux autres incidents meurtriers.

Sanjurjo est démis de ses fonctions de commandant de la guerre civile en janvier 1932. Le 10 août il prend la tête d’un coup d’État avorté.

Sanjurjo est battu par une grève générale, mais sa défaite ne fait pas retomber l’intensité de la guerre sociale.

Le 8 janvier 1933, le mouvement anarchiste lance une grève insurrectionnelle mal préparée. Elle est écrasée dans presque toute l’Espagne.

La répression est particulièrement sauvage dans le petit village de Casas Viejas dans la province de Cadix. Une vingtaine de villageois sont exécutés de sang-froid par l’armée et la « Guardia Civil ».

Casas Viejas et ses répercussions font comprendre aux dirigeants socialistes que défendre la République bourgeoise équivaut à un suicide politique auprès des ouvriers et des paysans.

Tout au long de l’été 1933, les lois de la République sont tout bonnement ignorées. Les emplois ne sont proposés qu’aux ouvriers et paysans prêts à déchirer leur carte syndicale. La terre est soustraite aux cultures par les grands propriétaires.

Début septembre 1933, le président de la République invite le leader corrompu du Parti Radical, Alejandro Lerroux, à former un gouvernement. Il gouverne alors que les Cortes sont suspendus.

De nouvelles élections sont convoquées, la droite unie rafle 212 sièges avec 3 345 504 voix, tandis que la gauche désunie gagne 99 sièges avec 3 375 432 voix.

( Cette série d'articles est rédigée à partir d'extraits de lecture du livre de Paul Preston - souvent cité dans ces colonnes - " Une guerre d'extermination" édité aux éditions Belin en 2017 et en collection poche en 2020. Je vous en ecommande vivement la lecture intégrale. )