Dans un numéro d’équilibriste où il excelle, le maire de Béziers garde deux fers au feu : martyr ou prophète de la cause identitaire.
Apparaître comme un prophète est un moyen de fonder un parti, une doctrine ou une religion.
Se positionner comme martyr est un autre moyen de fonder un parti, une doctrine ou une religion.
Tous les leaders d’extrême droite utilisent la stratégie du martyr ou du prophète pour atteindre leurs objectifs.
On pense bien sûr à Hitler et Mussolini qui sont passés par la case prison avant de fonder un parti fasciste et avant de périr dans les décombres de leur régime. Plus près de nous, Pétain est passé du statut de sauveur, constructeur d’un ordre nouveau à celui de paria avant d’être incarcéré.
Version populiste de droite on pense aussi à Trump et Bolsonaro, à leur rapport aux procès, à la sédition, à la loi, à la victimisation.
Deux procès attendent le maire de Béziers. Il devrait « légalement » les perdre tous les deux.
Le premier de ces procès à venir, c’est celui de l’arrêté municipal qui interdit aux mineurs de moins de 13 ans d’être en dehors de chez eux entre 23 h et 6 heures du matin.
Le second de ces procès, c’est celui du refus de mariage qui est illégal.
Faute d’arguments étayés, on peut se demander si ces actions ont été enclenchées pour gagner ou pour perdre ( voir articles précédents sur ce site ).
Dans la logique ménardienne, la construction d’un socle culturel et sociologique de droite et d’extrême droite majoritaires justifie ces prises de position.
S’il gagne juridiquement, il dira qu’il a contribué à briser un nouveau plafond de verre.
S’il perd, il dira qu’on l’empêche de faire ce que veut une majorité de français.
Le procès lié au refus illégal de marier un couple franco-algérien dans « sa » ville, est de ce point de vue exemplaire.
Le lundi 22 avril 2024, entendu comme suspect libre par la police judiciaire pendant un peu plus d’une heure à la suite d’une plainte déposée par le couple, ainsi que par une association et un parti politique, le maire de Béziers a reconnu l’infraction.
Le texte de loi est parfaitement clair, la liberté de se marier pour un étranger avec une Française est préservée par plusieurs textes nationaux et européens.
Le maire de Béziers a parfaitement conscience qu’il a voulu violer la loi dans le sens d’une idéologie qu’il ne partage pas. Il ne cache pas son inquiétude par rapport à d’éventuelles sanctions judiciaires : « Ma position n’a pas changé d’un iota. Je sais que c’est illégal, mais c’est légitime ».
Si la stratégie du martyr se réalise, Ménard va endosser le costume de la victime d’un État faible et lâche qui se refuse à appliquer ce que veut la majorité de la population.
Si c’est la stratégie du prophète qui l’emporte, Ménard va endosser le costume du chef charismatique qui a réussi à imposer le désir du peuple.
Cette posture populiste est caractéristique de l’extrême droite, car elle substitue une personne à des corps institués, à des lois existantes, à une mobilisation collective.
Ménard fait en quelque sorte la révolution à la place des citoyens et en leur nom.
On devine les avantages et prérogatives que peut tirer un leader d’un tel positionnement. Celui d’être désigné comme le chef, le Duce, le Caudillo, le Führer.
Dans cette mystique de l’homme fort seul contre les corps et les partis institués, Ménard fait appel au bon sens du peuple, à sa vérité.
Ce faisant il parle à sa place, en son nom, pour son propre compte.
C’est l’inverse d’un projet d’émancipation du peuple, de la recherche de démocratie directe, des conseils ouvriers.
C’est l’inverse du slogan un homme ( ou une femme ) = une voix, dans les élections et dans les luttes.
Ménard n’est pas qu’un rétrograde conservateur et religieux. C’est un tenant de la doctrine : « un peuple, un pays, un chef. »
Pour le moment cette doctrine s’applique dans une surface limitée à une ville.
Mais il ne s’est jamais contenté de cette superficie, pour lui et pour ses idées.