FRANCE-ALGÉRIE, les crimes sont-ils comparables ? 

par | 24 mars 2025 | Place aux lecteurs

Les Mutins de Pangée coopérative cinématographique

Crise dans les médias : le chroniqueur politique Jean-Michel Aphatie a été suspendu de l’antenne de RTL pour avoir dénoncé les exactions de l’armée française lors de la colonisation de l’Algérie, en comparant les massacres de l’armée française à ceux d’Oradour-sur-Glane par les nazis, « des centaines d’Oradour-sur-Glane en Algérie »  De l’histoire de la colonisation de l’Algérie, on connait les crimes depuis les enfumades des grottes du Dahra dès le début (1844-1845), les crimes de la prise de Laghouat (1852), la longue liste des villages insurgés où les habitants ont été massacrés par l’armée française, les massacres de Sétif le jour même de la capitulation de l’Allemagne nazie (8 mai 1945). Dans la guerre d’indépendance (1954-1962), des horreurs ont été commises de toute part, de nombreuses victimes civiles ont payé de leurs vies pour qu’on en arrive finalement à ce qui aurait pu être fait dès le départ, mais sans les morts, leçon que jamais nous ne retenons. Ce n’est peut être pas toujours des Oradour, mais les Algériens se souviennent des destructions des villages avec massacres de femmes, enfants et vieillards, dans les villages des Aurès (1954), dans le village Ighzer Iwaquren (6 mai 1957), rasé par les bombes, comme le village d’Ait-Ouabane (11 décembre 1957), celui de Sakiet Sidi Youssef à la frontière algéro-tunisienne (8 février 1958) dont on voit les images dans Algérie en flammes et Peuple en marche de René Vautier. 
 On peut toujours dire que les situations historiques ne sont pas comparables, que ce sont de vieilles histoires dont on n’a pas à se flageller et c’est vrai qu’on n’est pas coupables de l’histoire de nos nations (ni nous, ni les Allemands, ni les Algériens d’ailleurs), ni des crimes de nos gouvernants qui nous mentent pour mener ces guerres et qui commettent, en notre nom, des crimes horribles, sont complices de leurs alliés par leur silence, la livraison d’armes souvent, les interventions secrètes parfois et autres barbouzeries.  Mais on comprend bien que cette polémique autour des mots de Jean-Michel Aphatie, s’inscrit dans un contexte de montée de l’extrême droite en France, qui a ici l’occasion d’enflammer un ressentiment profond et explosif, et de surfer encore sur la rupture de relation diplomatique entre la France et l’Algérie, dont le président Macron est responsable. La crise a été relancée en juillet 2024, lorsque la France a reconnu la souveraineté marocaine sur le Sahara occidental (Rappel : Depuis le retrait de l’Espagne en 1975, le Sahara occidental est un territoire disputé entre le Maroc, qui le considère comme sien, et le Front Polisario, soutenu par l’Algérie, qui réclame son indépendance. »). L’historien Benjamin Stora a déploré « des prises de position politiques qui ont mis le feu aux poudres et qui sont venues percuter ce travail mémoriel, en particulier la question du Sahara occidental » ( Cf. Algéria watch – Crise entre Alger et Paris : Ceux qui refusent l’escalade ). Depuis novembre, on assiste à une instrumentalisation de l’incarcération en Algérie de l’écrivain franco-algérien Boualem Sansal, ainsi qu’à un refus du pouvoir algérien de récupérer des individus frappés d’une OQTF en France. Cela a donné l’occasion au ministre de l’Intérieur Bruno Retailleau de se démarquer et d’essayer d’en tirer un profit politique pour la suite. C’est dans ce contexte qu’est née la polémique autour de la phrase de Jean-Michel Aphatie.  L’histoire est toujours un enjeu politique pour le présent. Pourtant, plus personne aujourd’hui ne peut nier ces faits historiques et les crimes de la colonisation. À partir de cette polémique, ce qu’on a de mieux à faire est alors de tenter d’éclairer ces histoires et les transmettre aux générations futures. On peut rappeler aussi la mémoire des victimes du nazisme, avec lequel a collaboré l’extrême droite française, qui a trahi la France, et dont les héritiers tentent toujours d’inverser les rôles avec grand toupet. Mais, quoi qu’on raconte, il se trouve que, lorsque les morts sont des Arabes massacrés au nom de la France, il est évident que le traitement ne sera pas le même et qu’on ne laissera rien passer des comparaisons, car le fond de cette pensée coloniale est que « nous sommes la civilisation, ils sont des sauvages » et donc « on peut les massacrer » (drôle d’idée dans tous les cas). Surtout quand ces massacres du passé font échos à d’autres massacres qui ont lieu en temps réel en Palestine et qui sont niés ou justifiés par les mêmes qui s’offusquent des propos de Jean-Michel Aphatie.  Le premier à s’offusquer de la comparaison faite par Jean-Michel Aphatie était l’animateur de l’émission, Thomas Sotto, pris d’une sorte de terreur, lançant aussitôt, catégorique : « Jean-Michel, on n’a pas fait Oradour-sur-Glane en Algérie ! ». Envoyés ensuite en escadrille, Cyril Hanouna, Pascal Praud, en chœur avec Jordan Bardella et Eric Ciotti d’en sont donnés à coeur joie… Ces gens, qui passent leur temps à mettre le feu partout et racontent n’importe quoi à longueur de journée sur les antennes, se permettent encore des leçons d’histoire et de morale ! L’Arcom a été saisie, les réseaux asociaux se déchainent. Sur un post, Jean-Michel Aphatie a riposté : « J’ai été roulé dans le mépris et l’injure par le Bolloréland. Cyril Hanouna m’a insulté. C’est un réflexe. Pascal Praud m’a insulté. C’est corporate. Le Figaro a rejoint le Bolloréland ». Jean-Michel Aphatie ne s’est pas excusé et n’est pas retourné sur RTL. Il reste peut-être encore un peu de dignité chez certains éditorialistes, et c’est assez rare pour le souligner.  Rien de nouveau pourtant dans cette polémique quand il est question de notre histoire avec l’Algérie, si ce n’est que désormais l’extrême droite a le vent en poupe, et que la Macronie l’a placée au pouvoir, notamment par la mise en scène de l’homme de spectacle et cascadeur Bruno Retailleau, qui sacrifie la diplomatie française à ses ambitions politiques (ce n’est pas le seul). L’extrême droite et le parti de Jean-Marie Le Pen ont toujours suivi cette ligne révisionniste, tantôt en revendiquant et justifiant les tortures et les crimes, tantôt en les niant. À l’époque, la loi d’amnistie faisait taire tout le monde… Tout le monde ? Un petit breton à la caméra rouge résistait encore et toujours.Son nom : Vautier, René.  
Depuis des années nous avons édité aux Mutins de Pangée les films de notre cher René Vautier, le premier cinéaste français à avoir filmé la guerre d’Algérie et son histoire du point de vue des indépendantistes anticoloniaux, du côté des maquisards algériens. Il l’a fait au risque de sa vie, essuyant les tirs de l’armée française qui visaient délibérément sa caméra, ce qui lui vaudra de conserver toute sa vie dans sa tête dure, l’éclat de sa caméra (probablement un des rares cinéastes à avoir un bout de caméra dans le crâne !). Jeune résistant aux nazis en Bretagne quand il avait 16 ans, décoré de la croix de guerre, René Vautier comparait parfois les crimes de l’armée française dans les colonies à ce qu’il avait vécu des nazis face à la Résistance. Déjà dans Afrique 50, René Vautier énumérait les massacres de l’armée française dans son commentaire, « des noms de villes et villages qui sonnent aux Africains comme des Oradour ». À la fin des années 1940, le jeune cinéaste avait tourné ces images en violant un décret de 1934 qui faisait toujours loi dans les colonies françaises, un décret signé de Pierre Laval, fusillé par la France en 1945 pour activité pronazie. René Vautier fera de la prison pour ça en France, le film ayant été confisqué, censuré, mais il volera ses propres bobines des mains de la police française pour que le film existe quand même. Pendant la guerre d’Algérie,  devant ce qu’il savait, ce qu’il voyait, ce qu’il filmait, René Vautier avait encore de bonnes raisons de faire le genre de comparaison qui est reprochée aujourd’hui à Jean-Michel Aphatie. Plus tard, René Vautier revenait sur l’histoire de la colonisation de l’Algérie avec Déjà le sang de mai ensemençait novembre, un des rares documentaires de son temps à raconter cette histoire (jamais diffusé à la télévision française). Les films de René Vautier restent quand même des témoignages d’un certain esprit de résistance dans le cinéma français… enfin… chez René Vautier en tout cas.  De nos jours, plusieurs films témoignent désormais de ces histoires longtemps censurées en France. Mais, même si la télévision publique a diffusé la série documentaire très complète C’était la guerre de Georges-Marc Benamou, écrite avec Benjamin Stora, ne croyons pas que tout ceci est réglé pour autant. Le documentaire Algérie, Sections Armes Spéciales, sur l’usage d’armes chimiques par l’armée française durant la guerre d’Algérie, a été déprogrammé par France télévision après avoir annoncé sa diffusion le 16 mars 2025 (Il est visible en ligne par ici). On le voit à chaque occasion, la guerre d’Algérie remonte à la surface et il est possible que ce long chemin accompli pour faire la lumière sur des histoires longtemps cachées du grand public soit à nouveau bouché dans un avenir proche, que le travail des historiens et des cinéastes et documentaristes soit à nouveau enfoui sous les piles d’une nouvelle censure, comme le fait Donald Trump aux États-Unis en un temps record. Les choses vont vite dans ce monde.  Coffret livre-DVD René Vautier anticolonialiste René Vautier en VOD sur CinéMutins

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