Au moment où en France et dans le monde la droite extrême et l’extrême droite remettent en cause l’État de droit, il est temps de se rappeler comment le fascisme procède pour le supprimer. En Italie, l’assassinat du député socialiste Giacomo Matteotti aurait pu signifier la fin du fascisme. À l’inverse, il a signifié la fin de l’État de droit.
Italie, 1924 : meurtre de Matteotti (3) la reprise en main
26 février 1925, plus de 9 mois après l’assassinat de Matteotti, Luigi Federzoni, ministre de l’Intérieur, va rencontrer, Benito Mussolini, pour la première fois depuis plusieurs semaines.
Le premier sujet abordé est le secret qui entoure le véritable état de santé du Président du conseil. L’Italie ne doit pas savoir que le « Duce du fascisme » est malade, alité.
Certains prétendent que Mussolini est mort. Les députés qui ont déserté le parlement suite à l’assassinat de Matteotti attendent deux choses : la décision du roi d’Italie de révoquer le Président du conseil ou la mort de ce dernier.
Les élus de la république attendent un coup du sort pour sauver la démocratie.
Mussolini s’inquiète, lui, du nouveau secrétaire du Parti national fasciste, Farinacci, qu’il sait incontrôlable.
Au lieu de faire « profil bas » dans cette période difficile, Farinacci galvanise les « squadristes » les plus violents. Il annonce de manière volontairement provocatrice que son mandat de chef du parti a commencé avec la mort de Matteotti.
Les élus de la république ne répondent pas, ils attendent que Mussolini stoppe Farinacci.
Durant ces longs mois de crise, Farinacci a revendiqué ouvertement le meurtre du parlementaire socialiste. Pour cette espèce d’homme, la haine est la mesure de toute chose.
Farinacci interprète à merveille le rôle de l’illuminé. Il affirme qu’il balaiera tous les « débris » de la démocratie libérale, qu’il anéantira les reliquats d’antifascisme.
Il propage aussi des rumeurs, des bruits de complots ourdis contre le « Duce ». L’une de ces rumeurs concerne Federzoni, le ministre de l’Intérieur.
Mussolini sait qu’il est menacé de tous les côtés, qu’il lui faut reprendre l’initiative, reprendre le pouvoir.
Il choisit pour cela de réapparaître en public.
Le prétexte sera le sixième anniversaire de la création des faisceaux de combat et ce sera le 23 mars 1925 dans deux mois. Deux mois c’est le temps que se donne Mussolini pour se remettre sur pied, pour quitter la chambre où il se consume.
Benito Mussolini doit parler à la foule. Les silences prolongés entre la foule et les chefs ne sont jamais bons pour ces derniers.
Six années seulement se sont écoulées depuis la fondation des faisceaux de combat. La petite centaine de vétérans exaltés qui ont fondé le fascisme s’est transformée en un parti de plus de 500 000 adhérents.
Mussolini cherche la force qui lui permettra de se hisser pour haranguer ses troupes et toute l’Italie attend qu’il meure où qu’il ressuscite.
Mussolini sait que le fascisme est une religion et que les religions ont besoin d’un dieu.
Pour redevenir un dieu vivant, il lui faut quitter son lit et s’avancer sur un balcon.
C’est ce qu’il fait dans un effort gigantesque ce 23 mars 1925 à midi. La foule qui le voit apparaître ne peut pas remarquer sa maigreur malsaine, ses joues émaciées, son teint blafard.
Elle le retrouve en vie après l’avoir cru mort. Pour cette seule raison, elle exulte. Une ovation de dévots s’élève vers le ciel romain.
Le discours de Mussolini va à l’essentiel : « Je veux vous dire, moi, que nous sommes au printemps et que le meilleur est à venir. Le meilleur pour moi et pour vous, la reprise totale, intégrale, de l’action fasciste toujours et partout, contre quiconque.
Comme c’était à prévoir, Mussolini a rejoint Farinacci. Le fascisme est une course à la radicalité.
Le « Duce du fascisme » est épuisé. Protégé par les rideaux du palais Chigi il s’effondre dans un fauteuil, mais il a rempli son contrat d’apprenti dictateur.
La semaine prochaine nous reviendrons sur les derniers soubresauts démocratiques.