« On se fout d’un jour de prison / on se fout de la sale mort / pour préparer ces gens forts / on se fout maintenant de mourir. / Le monde sait que la chemise noire / on porte pour tuer et périr / se battre et souffrir . . . ».

Chant des squadristes ferrarais

Une centaine de fascistes seulement sont réunis au siège du Faisceau de la Via Ottaviani. C’est dimanche et, les jours de fête, au moins cinq escouades arpentent les villages des environs.

Les adhérents demeurés en ville se pressent tous dans la salle des rassemblements. On attend que le marquis Dino Perrone Compagni prenne la parole. Ces derniers mois, à Florence, le faisceau s’est scindé en deux : d’un côté, les hommes ayant des entrées dans les maisons bourgeoises, de l’autre, des individus enfermés dans des tics et des rancunes, au casier judiciaire souillé par un vol. Des désespérés prêts à tout.

Le marquis lance : « Œil pour œil, dent pour dent ! d’ici ce soir les chefs du bolchevisme auront payé pour cette dernière infamie », « Il faut que nous devancions police et carabiniers. C’est nous qui devons faire respecter l’ordre public et accomplir les actions de justice ». Tout en parlant, il déboutonne sa veste, montrant le revolver qui est glissé dans sa ceinture.

L’escouade fasciste nouvellement formée emprunte ensuite la Via Taddea et atteint le numéro 2. Le soleil se couche, le vent souffle en rafales, froid et sec, la porte du syndicat des cheminots est ouverte. Personne ne monte la garde.

L’homme qu’ils recherchent est assis à sa table, une cigarette aux lèvres. Florence est en état de guerre et lui Spartaco Lavagnini, secrétaire du syndicat des cheminots, directeur du journal Azione comunista, censé apporter la révolution aux bolchéviques toscans, est à son poste de travail, la tête penchée sur sa feuille, son stylo à la main. Inlassable, vulnérable, fidèle à son devoir, il écrit et corrige des épreuves, comme si son destin dépendait d’une faute d’inattention, d’une coquille.

Quand Spartaco Lavagnini lève les yeux, son assassin est planté à un mètre de lui, un revolver pointé sur son front.

Cette nuit-là, la ville se fissure. Alors que le jour se lève sur la tragédie, Florence se réveille, scindée en deux parties, le long des lézardes qu’ont tracées la bombe du palais Antinori et les meurtriers de Spartaco Lavagnini.

On pleure Spartaco et s’interroge, sans illusions. Qui a posé cette bombe ? Qui avait intérêt à mettre en péril cinquante années de conquêtes ouvrières ?

Quand une bombe explose au milieu de la foule, s’exclament certains, le perdant est toujours la gauche prolétarienne, indépendamment du poseur et des victimes.

 

( Extraits de lecture du livre d’Antonio Scurati ‘’M’ l’enfant du siècle aux éditions Les Arènes )

Chaque mardi en exclusivité sur EVAB, vous avez rendez-vous avec la série ‘’M’’ qui va vous faire revivre les évènements qui ont fondé le fascisme en Italie, au siècle dernier.    

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