Déchets, et si on parlait des eaux ?

par | 23 février 2025 | Écologie

En matière de déchets ménagers, on n’accorde d’attention qu’à la petite quantité de résidus solides jetés à la poubelle ou déposés en déchetterie. On se préoccupe beaucoup moins des déchets liquides déversés pourtant en quantité bien supérieure dans les égouts. Ce que reçoivent poubelles et déchetteries atteint au total moins d’une tonne par an et par habitant alors que les égouts reçoivent environ trente tonnes d’eaux usées par habitant et par an. D’autre part alors qu’ordures ménagères et déchets industriels tombent dans des poubelles distinctes, les égouts reçoivent à la fois les effluents des ménages et des industries.

Le contenu des égouts est donc un immense et inextricable mélange de tous les polluants.

Le résultat de cette incurie irrationnelle, c’est la pollution irréversible des égouts, puis des cours d’eau, des nappes phréatiques, de l’eau potable, des sols cultivés et de l’air que nous respirons.

La double fonction des cours d’eau

Le petit fleuve qui traverse Béziers — l’Orb — remplit 2 fonctions vitales : d’une part il reçoit les égouts des nombreuses communes riveraines, d’autre part il est pour ces mêmes communes la principale, voire l’unique ressource en eau potable. L’Orb n’est pas une exception : beaucoup de rivières et tous les grands fleuves (Seine, Loire, Rhône) remplissent eux aussi ces 2 fonctions contradictoires. Les problèmes qui en résultent sont énormes !

Comment est captée l’eau potable

À Béziers, l’eau qui coule des robinets vient de l’Orb. Elle est prélevée en amont de la ville et le réseau d’égout rejoint l’Orb en aval de la ville. Deux précautions élémentaires…

Troisième précaution : l’eau potable n’est jamais pompée directement dans le lit du fleuve, mais à quelques dizaines de mètres de l’Orb, sur la rive, grâce à plusieurs puits de captage. L’eau tirée de ces puits est bien celle de l’Orb, infiltrée sous les 2 rives. Pour arriver jusqu’aux puits, elle traverse l’épaisse couche de limon que les crues du fleuve ont déposée de chaque côté du cours d’eau. Parce que ce limon est très fin, il constitue un filtre naturel qui débarrasse l’eau des microbes et de certains polluants. Mais beaucoup de molécules dangereuses (métaux lourds et pesticides agricoles, etc.) ne sont pas beaucoup plus grosses qu’une molécule d’eau. Elles sont donc capables, comme l’eau et avec elle, de passer à travers le filtre limoneux. C’est pourquoi l’eau dite « potable » est analysée avant d’être consommée. Mais cette analyse est-elle fiable ?

Inévitable insuffisance des analyses d’eau

On nous répète que l’eau potable est un produit alimentaire extrêmement surveillé. Cela rassure les consommateurs. Et il est vrai qu’avant d’être livrée à la consommation, l’eau de nos robinets subit des analyses réputées strictes par des laboratoires réputés rigoureux. Mais ces laboratoires ne cherchent qu’un nombre très limité de polluants : les plus fréquents, les plus dangereux. L’arrêté ministériel du 11/01/07 qui réglemente les analyses d’eau potable n’impose que 54 paramètres. Les autres polluants, n’étant pas recherchés, ne peuvent pas être découverts par les analyses. Est-il possible d’exiger que soient recherchés dans cette eau tous les polluants susceptibles de s’y trouver ? Hélas non ! Pour la raison suivante : l’industrie a inventé, fabriqué et mis sur le marché européen environ cent mille produits chimiques plus ou moins toxiques (peintures, solvants, acides, bases, insecticides, herbicides fongicides et autres poisons phytosanitaires, colles, produits d’entretien et de bricolage, lessives, nettoyants et décapants divers) qui sont quotidiennement utilisés par les agriculteurs, les artisans, les industriels et les ménages.

Tout cela, après consommation, tombe plus ou moins à l’égout et se retrouve donc en partie dans les cours d’eau. Avec le risque évident de polluer l’eau potable. Or s’il fallait rechercher cent mille polluants dans une analyse d’eau, ladite analyse durerait des années et le prix de cette analyse rendrait l’eau potable plus chère que le champagne.

D’où l’absolue nécessité d’épurer le contenu des égouts avant de le jeter dans un cours d’eau. Malheureusement cette épuration est très incomplète.

Les limites de l’épuration

En langage administratif, cette épuration est appelée « assainissement des eaux usées ».

Elle est effectuée en zone rurale par des bassins de lagunage et dans les villes par une usine appelée station d’épuration (STEP en abrégé).

Au traitement classique, les STEP les plus modernes ajoutent parfois une « ultrafiltration ». L’eau usée passe alors à travers un filtre d’une extrême finesse, théoriquement capable de retenir tous les polluants plus gros qu’une molécule d’eau. Les microbes et même les virus sont probablement incapables de traverser les mailles de l’ultrafiltration, mais beaucoup de polluants minéraux passent : atomes de métaux lourds ou métabolites de médicaments.

Concluons qu’une STEP, efficace contre les polluants organiques, est impuissante à éliminer les polluants minéraux.

Donc « le tout à l’égout » est dépassé

Puisque les STEP sont incapables d’éliminer les polluants minéraux, ceux-ci ne devraient pas tomber à l’égout. On devrait jeter à l’égout uniquement les effluents que les STEP sont capables de traiter efficacement.

À mesure que se développe l’industrie chimique, le tout à l’égout devient un crime contre l’environnement et contre la santé publique. En particulier les industriels doivent cesser de déverser dans le réseau d’égout les résidus liquides plus ou moins pollués issus de leur activité. D’ailleurs la loi oblige les entreprises à traiter elles-mêmes tous leurs déchets y compris leurs effluents liquides. Mais les élus locaux refusent rarement une autorisation de déverser à l’égout des effluents industriels même très dangereux. Prenons quelques exemples à Béziers.

L’exemple édifiant de Mecanic Sud Industrie (MSI)

Cette entreprise métallurgique, installée dans la zone industrielle du Capiscol (Béziers), fait du « surfaçage métallique » : elle recouvre d’une fine couche de chrome ou de nickel les pièces que ses clients lui confient. Comme elle voulait développer son activité et être autorisée à déverser ses effluents liquides à l’égout, l’entreprise a dû soumettre 2 projets à une enquête publique en février-mars 2017. L’étude de dangers incluse dans cette enquête a révélé que MSI utilise une cinquantaine de produits chimiques nocifs ou irritants, corrosifs ou cancérogènes, dangereux ou toxiques (voire reprotoxiques : toxiques pour les organes génitaux). Ces substances dangereuses se retrouvent inévitablement dans les déchets d’activité de MSI.

C’est pourquoi, jusqu’à la date de l’enquête publique, MSI ne déversait aucun effluent industriel liquide dans le réseau d’égout.Un tel déversement était interdit par arrêté préfectoral.

Les déchets liquides de MSI étaient tous récupérés dans des cuves ou des fûts et livrés à des entreprises spécialisées (SRA SAVAC, SAFETY KLEEN…) pour valorisation ou élimination dans des installations agréées.

Pourtant la communauté d’agglomération a récemment autorisé MSI

D’abord par arrêté, puis par convention tripartite (MSI, agglo et Lyonnaise des eaux) à jeter ses eaux usées industrielles dans le réseau d’égout et cela avant toute enquête publique.

Quels sont les polluants contenus dans les eaux usées de MSI ? Le dossier d’enquête publique sur ce point capital était muet. La communauté d’agglomération a autorisé le déversement à l’égout sans se préoccuper de connaître la liste complète des polluants contenus dans les eaux usées de MSI.

L’agglo, dans la convention tripartite, va jusqu’à autoriser explicitement le déversement à l’égout de divers poisons (arsenic, cyanure) de polluants métalliques (en particulier chrome, nickel) et de toxiques divers : toluène, xylène, etc.

L’attitude de l’agglo est totalement irresponsable, car la station d’épuration biterroise, qui n’utilise que des microbes pour traiter le contenu des égouts, est strictement incapable d’éliminer les poisons, les toxiques, les métaux lourds et autres polluants minéraux produits par MSI. Toutes ces molécules dangereuses finiront donc dans l’Orb ou dans les boues issues de l’épuration des eaux d’égout.

Ces boues, comparables à du fumier, ont vocation à fertiliser les terres cultivées et ne doivent pas contenir de molécules dangereuses.

Plus grave : suite à l’enquête publique, la préfecture, elle aussi, a autorisé MSI à déverser ses déchets liquides à l’égout.

Malheureusement le cas de MSI n’est pas isolé. Il est manifeste que les pouvoirs publics ne refusent pas grand-chose à un industriel.

La complaisance de l’agglo envers les industriels

L’agglo a signé avec de nombreux industriels des conventions les autorisant à déverser « des eaux résiduaires non domestiques » dans le réseau d’égout.

Ces autorisations ont été accordées à des entreprises dont les déchets sont très dangereux : par exemple à GAZECHIM (usine chimique classée SEVESO seuil haut).

Pour faire le point sur ces autorisations et savoir dans le détail jusqu’où vont les complaisances de l’agglo envers les pollueurs, nous avons demandé par lettre recommandée du 12/10/17 à l’agglo copie de toutes les conventions de déversement à l’égout passées avec des industriels et copie des délibérations de l’agglo approuvant ces conventions. L’agglo a fait la sourde oreille pendant près d’un an. Plusieurs rappels téléphoniques et écrits étant restés vains, nous avons fini en février 2018 par saisir la CADA (commission d’accès aux documents administratifs).

Il a fallu l’intervention de ce service pour que l’agglo fournisse enfin en août 2018 les documents demandés. Pourquoi un secret aussi total et illégal si l’agglo n’a rien de grave à cacher ?

Ce compte-rendu dont je vous livre ce premier extrait a été réalisé par le Comité biterrois du MNLE (Mouvement national de lutte pour l’environnement).

Je vous proposerai un second extrait qui portera sur le traitement des boues du STEP dans quelques jours.

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