La richesse et le poison se sont conjugués dans la mine d’une vallée de l’Aude à Salsigne. Pendant près de 3 ans, Nicolas Rouillé a collecté la parole des mineurs et des habitants. Il l’a retranscrite dans un livre coup de poing qui évoque la richesse de la mémoire ouvrière et le poison de la pollution industrielle. . .

Salsigne (8) : la mémoire de la lutte contre la pollution (b)

  • « Et puis arrive cette damnée inondation de 2018. »

 

  • « La route de Villalier arrachée, la route de Conques arrachée, le pont de Villegailhenc arraché. Tout a été arraché ! Pendant un mois, pour aller à Carcassonne, on n’avait qu’une petite route, il fallait monter sur les bords pour passer à deux. »

 

  • « On a estimé le débit de pointe dans l’Orbiel : au niveau de Lastours, on était à 130-150 mètres cubes par seconde ; au niveau de Bouilhonnac, en aval, c’était à peu près 490. C’est énorme ! Sur le Russec, on a estimé à peu près 200 mètres cubes par seconde, et 100 pour le Grésillou, ce qui est colossal. »

 

  • « Commencent alors les rumeurs de pollution. Je savais qu’une mine, ça polluait, mais je découvre que c’est bien pire qu’on veut bien le dire. Je ne pensais pas que c’était à ce point-là. On n’arrive pas à le croire, on met du temps. Moi j’étais sidéré, sidéré, sidéré… C’était la sidération face à l’ampleur du truc. »

 

  • « Au niveau des flux, on est entre 1 et 2 tonnes d’arsenic sous forme dissoute et 2 à 3 tonnes d’arsenic exporté sous forme partidaire, avec des hypothèses qui sont minimes. Ce qui fait de 3 à 5 tonnes. Les estimations, c’est généralement de 8 tonnes par an. Donc là, en une à deux journées, voilà ce qui a été emporté par la crue. »

 

  • « Pour nous, à Trèbes, Salsigne c’était le bout du monde. On ne s’était jamais vraiment intéressés à leurs problèmes de pollution, et maintenant, avec ces crues, ce sont les nôtres malheureusement. »

 

  • « On a lancé une campagne de prélèvements et d’analyse de cheveux. On faisait le prélèvement nous-mêmes, on l’envoyait au labo et le labo communiquait directement les résultats aux gens. Sur 102 personnes analysées, 99 nous ont renvoyé leurs résultats, pour vous dire l’implication des gens. Pour les 49 métaux qui ont été recherchés, il y a 4 niveaux : zéro, insignifiant, à surveiller et à risque. À risque, c’est quand on a dépassé le seuil maximal toléré. Eh bien, 66 % des gens testés ont au moins un métal à risque. Ce n’est pas rien, c’est les deux tiers. Mais ce n’est pas tout : il n’y en a que 4 qui n’ont qu’un seul métal à risque, les autres en ont plusieurs. La moyenne est à 5. »

 

  • « Pour le cuivre, il y a 24 personnes à surveiller ou à risque ; pour le cobalt, c’est 8 personnes ; le fer, 8. Et on continue comme ça – Manganèse : 21 ; zinc : 10 ; aluminium : 12 ; antimoine : 22 ; arsenic 39 ; argent 39. D’où il sort, cet argent ? Autant que l’arsenic ! Ça montre bien que la problématique n’est pas seulement l’arsenic. Il y a polyexposition. »

 

  • « Et ça continue : baryum, cadmium, césium, gallium… Regardez le mercure : 84 personnes sur 99 sont à surveiller ou à risque. C’est de la folie furieuse ! Quand on sait qu’on a supprimé les thermomètres à mercure parce que c’était dangereux, là on a 8 personnes sur 10 qui ont des taux à surveiller ou à risque. Le plomb, c’est la moitié. »

 

  • « Attendez, ce n’est pas fini, ce serait trop beau : strontium, zirconium, cérium… Il y a des métaux que j’ai découverts, je ne soupçonnais même pas leur existence : 11 personnes à surveiller ou à risque au lanthane, 10 au néodyme, et j’en passe. Vous savez ce que c’est que l’europium ? C’est une terre rare, je ne le savais pas. Eh bien ici, 13 personnes ont un taux d’europium à risque. D’où ça vient ? Dieu seul le sait. »

 

  • « On sait extraire certains métaux du corps, mais on ne sait pas comment extraire le cocktail mercure-plomb-arsenic-strontium, par exemple. Et il n’y a pas d’étude sur les conséquences à long ou à moyen terme. Donc on ne sait pas. »

 

Ce texte est composé d’extraits de paroles recueillies par Nicolas Rouillé dans son livre « L’or et l’arsenic », édité aux éditions Anacharsis dans la collection « Les «ethnographiques », il est paru en février 2024. Je vous en recommande vivement la lecture. La semaine prochaine, je clôturerai cette série par des extraits sur la possible réouverture de la mine de Salsigne.

 

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