La richesse et le poison se sont conjugués dans la mine d’une vallée de l’Aude à Salsigne. Pendant près de 3 ans, Nicolas Rouillé a collecté la parole des mineurs et des habitants. Il l’a retranscrite dans un livre coup de poing qui évoque la richesse de la mémoire ouvrière et le poison de la pollution industrielle . . .

Salsigne (7) : la mémoire de la lutte contre la pollution (a)

  • « Lassac est indissociable de la problématique de la mine. Dans le raisonnement du Conseil général de l’Aude, puisque la zone est déjà pourrie, si on met un peu plus de merde, personne ne le verra. Ils se retranchaient derrière une étude technique disant que le point fort du site de Salsigne était « une population déjà sensibilisée aux activités industrielles ». On peut le dire autrement : on fait la décharge là parce que les populations locales acceptent la merde. »

 

  • « Bolloré était le champion pour envoyer des navires-poubelles au Togo, au Bénin ou sur les côtes ghanéennes. Il disait : « C’est juste un entrepôt ! » Et puis des années plus tard, on s’aperçoit qu’il y a une augmentation des cancers. C’est la même logique, on peut utiliser les mêmes expressions pour nous, dans la vallée de l’Orbiel : tiers monde, colonisés et cetera. Ce n’est pas du cynisme, c’est la dure réalité. »

 

  • « À partir du moment où le Conseil général de l’Aude a décidé qu’il ferait la décharge à Lassac, dans l’esprit des gens ça allait se faire. Ils contestaient, ils gueulaient, mais tout le monde était fataliste. La population de la vallée était contre, mais ça représente seulement 2 000 ou 3 000 habitants. Donc il y en avait 2 000 qui étaient contre et 338 000 qui étaient pour ou qui s’en foutaient. »

 

  • « Il y a eu des actions sur le terrain. Une fois, on a porté 2 ou 3 tonnes d’ordures ménagères devant le conseil général, on a bazardé des tomates, des œufs, enfin on a sali la façade. Quand il y a eu l’assemblée générale des maires de l’Aude, on est venus faire un comité d’accueil. On a secoué un peu la voiture des élus favorables au projet, il y en a un qui jouait de la trompette sous les fenêtres. C’était bon enfant, il n’y a pas eu de dégâts ne de heurts. »

 

  • « Au bout d’un moment, on a dit : « On arrête les conneries, maintenant il faut aller au tribunal, et on gagnait la plupart du temps. Les gens ont vu que quand on se rebiffe, on peut gagner, et nous on était contents parce qu’on voyait de plus en plus se rapprocher l’échec de Lassac. Et puis en 2014, la peur a complètement changé de camp : ils se sont pris une branlée mémorable au tribunal, ça a été le coup de massue. »

 

  • « Les associations qui ont refusé le dépôt d’ordures à Lassac, c’était en partie en raison de cette histoire-là. Donc t’avais les protecteurs de la rivière, les protecteurs du patrimoine préhistorique, les protecteurs de la circulation, tous les prétextes étaient bons pour dire : « Ça va être une horreur ! » Et c’est vrai : à l’entrée d’un site du pays cathare, tu ne mets pas une décharge à ciel ouvert. »

 

  • « Cette mobilisation a resserré les liens, il y a des gens qui étaient marqués à droite ou au centre qui se sont très bien entendu avec d’autres nettement marqués extrême gauche. Il y avait quand même ce conflit que l’on retrouve actuellement entre néoruraux et anciens, entre étrangers et autochtones. Quand il y avait la menace de Lassac, tout le monde était uni mais, dès que tu grattais, il y avait toutes les rancœurs qui ressortaient. »

 

  • « Heureusement que des gens ont mené ce combat, sinon ça aurait été la catastrophe pour toute la vallée. On essaye de développer le tourisme, les châteaux de Lastours sont pressentis pour l’Unesco. »

 

  • « C’est pas parce qu’un site a été endommagé pour telle ou telle raison qu’on doit le sacrifier. »

 

Ce texte est composé d’extraits de paroles recueillies par Nicolas Rouillé dans son livre « l’or et l’arsenic », édité aux éditions Anacharsis dans la collection « Les ethnographiques », il est paru en février 2024. Je vous en recommande vivement la lecture.

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