La richesse et le poison se sont conjugués dans la mine d’une vallée de l’Aude à Salsigne. Pendant près de 3 ans, Nicolas Rouillé a collecté la parole des mineurs et des habitants. Il l’a retranscrite dans un livre coup de poing qui évoque la richesse de la mémoire ouvrière et le poison de la pollution industrielle . . .

Salsigne (4) : la mémoire industrielle de l’or

  • À Salsigne il y avait deux métiers : les mineurs extrayaient le minerai, et nous les métallos, à l’usine, par le biais de la chimie et de la fusion, on récupérait la matte aurifère.

 

  • La concentration de la matte dépendait du minerai et de ce qu’on avait mis dans le four. Elle était noire, avec un reflet légèrement rougeâtre dû au cuivre quand on la regardait au soleil. On pouvait avoir 400 grammes, 500 grammes d’or à la tonne. On l’analysait tous les jours et ça partait à Boliden en Suède ou à Hoboken en Belgique. Moi j’ai surtout connu Boliden.

 

  • Vous connaissez le processus ? Le minerai arrive brut, il faut broyer très fin, et là on le mélange avec des adjuvants qui vont faire une réaction et remonter les mousses aurifères, c’est-à-dire les concentrés d’or. C’est la flottation. Donc on a une première séparation, c’est-à-dire qu’on divise en gros par dix la quantité à fusionner. Ce concentré on le sèche et on l’agglomère pour faire quelque chose de plus consistant, sous forme de boulets, et c’est avec ça qu’on charge le four, avec du coke pour maintenir la chaleur, du quartz, du calcaire et ainsi de suite.

 

  • Le poste le plus dégueulasse, entre guillemets, c’était la charge du four. Il y avait des vapeurs qui sortaient. Pour moi c’était le bagne ! En marche normale, ça aspirait, c’était en dépression, mais il y avait toujours des problèmes de ventilation ou des fuites au circuit d’arsenic.

 

  • C’était le boulot le plus dur, la charge. Pas dur question de force, par rapport à un mineur, mais par rapport à la merde que tu bouffais. Il y a aucun jour où c’était pareil, tu mettais jamais la même charge suivant le minerai. C’est l’ingénieur qui décidait.

 

  • C’est la coulée qui était un peu délicate, il pouvait y avoir des explosions. Il ne fallait surtout pas qu’il y ait une goutte d’eau dans la goulotte. La matte contient du cuivre, et de l’eau mélangée avec du cuivre en fusion ça donne une réaction violente. C’est arrivé plusieurs fois qu’on doive changer les éverites du toit !

 

  • La matte au contact de l’eau, ça te foutait de ces pignes ! Moi j’en ai reçu un morceau ici, à la main. Des fois, tu disais : « Putain, ça sent le cramé ! » C’était les cheveux ! On se mettait un foulard qu’on coinçait avec le masque pour se protéger, mais quand ça tombait dessus, t’avais intérêt à vite le sortir. Le casque en général, on le mettait pas. Ça gênait.

 

  • C’était pas un four que tu allumes et que éteins comme ça. Quand tu avais une panne, tu étais obligé de faire un arrêt de four, c’était au minimum 15 jours.

 

  • C’était comme une Ferrari, il fallait pas donner un coup de frein trop brutal, il fallait le connaître et savoir comment le mener. Il y a eu des accidents, mais miraculeusement ils ont évité la catastrophe.

 

  • Quand le four était pris, c’était au minimum huit à neuf postes en continu au marteau-piqueur. On était équipés d’un masque intégral, d’une cagoule amiante et vêtus en amiante pour se protéger, avec des gants qui remontent jusque-là. On entrait dans le four avec la fusion sous les pieds, les gars dehors nous arrosaient pour pas qu’on prenne feu. Je vous raconte pas de salades, hein, je vous le dis : c’est Zola multiplié par dix ! C’est pour ça que le four il fallait pas qu’il s’arrête, parce qu’on savait ce qu’on allait y laisser.

 

  • Dans un poste de 8 heures, on pouvait arriver à faire quatre à cinq coulées de 8,5 tonnes de liquide. Je vous parle de ça, c’est quand il y avait les creusets. Après les engins sont arrivés et on a travaillé d’une autre façon. Un creuset, ça fait à peu près 25 centimètres de haut, 40 de large, sur un bon mètre de long. On sortait des lingots de 120 à 130 kilos à la tenaille et on laissait refroidir le cœur encore en fusion.

 

  • Nous, c’était ça notre fierté, que le four ne s’arrête jamais et qu’on ait une fusion le plus fluide possible.

 

Ce texte est un extrait des paroles recueillies dans le livre de Nicolas Rouillé « L’or et l’arsenic », édité aux éditions Anacharsis dans la collection « les ethnographiques », il est paru en février 2024. Je vous en recommande vivement l’achat et la lecture.

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