Dorgères se plaisait à dire que ses Chemises vertes étaient le meilleur rempart contre les « Rouges ». Il célébrait les maraîchers des environs de Paris qui formaient une « ceinture verte », laquelle enserrait la « ceinture rouge » des faubourgs ouvriers de la capitale.
Pour la plupart des conservateurs du monde agricole, défendre la paysannerie veut dire combattre la gauche. Les conservateurs ont toujours été convaincus que la gauche était responsable de tout ce qui n’allait pas bien dans la société française.
À l’exode rural, la croissance industrielle débridée, le déclin de la religion, se rejoutait l’ultime cauchemar : le kolkhoze qui allait remplacer l’exploitation familiale.
Tous ces thèmes agités par la droite et l’extrême droite vont trouver un débouché en mai-juin 1936 avec la victoire électorale du Front populaire.
Dès la campagne électorale, Dorgères commence à parler davantage de la menace communiste que des prix agricoles.
Quand les ouvriers agricoles des grandes exploitations betteravières et céréalières de l’Île-de-France et du Nord se mettent en grève, pendant l’été et l’automne 1936, Dorgères active la création de « volontaires des moissons » pour briser ces mouvements.
Ces grèves organisées par la CGT sont les plus importantes de toute l’histoire agricole française. Elles vont être pour lui l’occasion de se poser en sauveur du pays face aux « Rouges ».
Renaud Jean, militant communiste du Lot-et-Garonne, avait poussé le PCF à donner, dès 1933 une priorité à l’action en milieu paysan. Son objectif était de construire un socialisme qui renonçait à la distinction entre « koulaks » et petits paysans, entre paysans pauvres et moyens. Renaud Jean est donc le père fondateur de ce qui sera la stratégie du MODEF, syndicat agricole minoritaire, mais toujours présent actuellement.
Dés le début des années 1930, l’agitation couve dans les campagnes. En fait, c’est la vague de grèves de 1936 / 1937 qui décide les gros producteurs de blé et de betteraves à remplacer leurs ouvriers agricoles indociles par des machines, et le travail du binage et du sarclage par l’emploi d’herbicides chimiques.
Les grèves massives d’ouvriers agricoles de 1936 firent l’effet d’une bombe. Plusieurs milliers de fermes et des dizaines de milliers d’ouvriers agricoles furent concernés. Occuper une ferme voulait dire occuper la résidence du patron en même temps que son exploitation.
Une des affaires les plus graves, avec échange de coups de feu, eut lieu en Seine-et-Marne le 3 juillet 1937.
Le 7 juillet 1936, le ministre de l’Intérieur, Roger Salengro, assure à un Sénat très agité ( où les grands propriétaires ruraux sont nombreux ) que le gouvernement de Front populaire juge illégales les occupations de fermes et compte bien les empêcher.
C’est là la grande différence entre la France et l’Italie, les gros exploitants n’ont pas besoin de faire appel aux escouades mussoliniennes pour briser les grèves.
Dorgères se porte au secours des propriétaires, comme les fascistes dans la plaine du Pô en 1921 et les nazis en Prusse-Orientale en 1920.
Il le fait via l’organisation de volontaires dans des cohortes qu’il baptise « volontaires de la moisson ». En 1936, le plus gros bataillon dorgériste identifié était composé de 180 hommes recrutés dans la Seine-Maritime pour être envoyés dans la Somme.
En 1937, il est composé de 300 hommes qui sont dirigés dans le Cambrésis. Ces bataillons étaient ni plus ni moins des briseurs de grève.
À l’automne 1937, la convention collective venant à expiration, la tension sociale s’exacerbe. Partout, le gouvernement tente d’empêcher des affrontements.
Cette permanence de l’État policier empêche le dorgérisme de s’épanouir en se substituant à un État défaillant.
L’autre donnée est la naissance d’un corporatisme qui vise à prévenir les grèves. Les paysans prennent la place de l’État pour le règlement de leurs conflits internes. Particulièrement fort en Normandie ce mouvement corporatiste empêche que les 479 grèves des villes industrielles de mai et juin 1936, débordent sur la campagne.
Quand les premières grèves agricoles éclatent le 27 mai 1937 dans le pays de Caux, le corporatisme tissé l’année précédente médiatise les conflits. 200 exploitations agricoles sont pourtant touchées au plus fort du conflit pendant l’été 1937.
L’autre action de Dorgères fut l’organisation d’actions contre les grèves salariales industrielles. Ces actions se sont systématiquement présentées sous forme d’actions « coup de poing » extrêmement violentes. Là aussi, les Chemises vertes ont joué le rôle de briseurs de grèves.
Pendant les grandes grèves de 1936 / 1937 le dorgérisme joue donc le rôle de briseur de grève sans créer des escouades armées comme en Italie et en Allemagne. C’est sans aucun doute ce qui va empêcher qu’un fascisme rural se formalise et rejoigne un fascisme urbain pour se fondre dans un seul et même projet de création d’un État central et autoritaire.