Les paysans français des années 1930 redoutaient que leur mode de vie soit condamné. Le différentiel entre ville et campagne bascule effectivement en 1931. Cette année-là il y a plus de citadins que de ruraux.

Derrière ce constat chiffré, il y a aussi l’immense déception de constater que la terre ne retient plus les jeunes.

Avec les jeunes qui partent, les campagnes enclenchent un processus de mort lente qui touche les villages et leurs habitants. Parallèlement, le suicide qui était un mal urbain jusqu’au 19e siècle devient le fléau des campagnes au 20e.

L’autre facteur de dépeuplement des campagnes, c’est la boucherie généralisée de la Première Guerre mondiale. 3 700 000 paysans sont mobilisés en 1914-1918, 673 000 meurent au front, 500 000 sont invalides.

Ces crises sociétales vont devenir un élément central de l’identité paysanne cryptofasciste que veut forger Dorgères. Dans ses prises de parole, il qualifie les morts paysans de la première guerre mondiale « d’impôt du sang supplémentaire ».

Dans l’entre-deux-guerres, la France est culturellement une « nation paysanne », mais elle ne l’est plus économiquement. Dit autrement, la France de droite se réclame du bon sens agricole, mais elle le dénigre économiquement. C’est un hiatus énorme dans lequel Dorgères va s’engouffrer.

Il menace on ne peut plus clairement, l’ordre républicain : « Si la République ne fait rien pour eux, les paysans devront rentrer dans l’illégalité. »

Pour Dorgères, les représentants de la République sont les instituteurs qu’il assimile à des « agents de l’impérialisme urbain », à de « mauvais bergers », dans ses diatribes.

Aucun autre groupe social ne suscite une telle animosité. Dorgères reprend à son compte un des classiques de l’extrême droite, l’ennemi culturel compte plus que l’ennemi économique.

Dans les faits, Dorgères mène des campagnes pour révoquer tel ou tel instituteur.

La démonologie fasciste avait un autre grand ennemi : le fonctionnaire. Il lui était reproché de compliquer la vie avec des règlements et des formulaires.

Le troisième ennemi désigné était celui des syndicats d’ouvriers agricoles, accusés d’être des « gréviculteurs ».

Pour l’extrême droite agricole, dans une vision particulière des rapports sociaux articulée sous l’angle de la conspiration, l’histoire du monde était invariablement démoniaque.

Dorgères est convaincu que tous les dirigeants de la troisième république sont des jouets du diable mondialiste.

Pour lutter contre ces suppôts de Satan, il propose un nouveau régime, autoritaire et corporatiste.

À la différence d’autres mouvements de droite, il ne cherche pas à introduire quelques paysans au Parlement. Il veut le remplacer par trois chambres corporatives, dont une dédiée à l’agriculture.

Les chambres d’agricultures créées en 1924, sont consultatives. Les membres de ces chambres sont élus par tous les agriculteurs (y compris les femmes d’exploitants bien avant le vote des femmes).

La participation à ces élections est alors très forte, mais elles n’exercent une influence que si le ministre les écoute.

C’est dans ce cadre contraint ( où une réelle représentation démocratique de la paysannerie n’a pas été mise en place ) que Dorgères va proposer sa conception de l’action directe.

Le lecteur attentif retiendra que la plupart des éléments qui constituaient la toile de fond de la crise agricole des années 30 n’ont pas disparu. Ils se sont reformulés. Les élections aux chambres d’agriculture de janvier 2025 seront l’occasion de voir si une nouvelle forme de dorgérisme peut à nouveau éclore en France via la "Coordination rurale".

Dans le prochain épisode de cette série, la semaine prochaine, les formes d’action directe misent en place par le dorgérisme seront évoquées.

(Ce texte est une recension du livre de R.O Paxton « Le temps des chemises vertes » : révoltes paysannes et fascisme rural 1929-1939. », édité en 1996 aux éditions l’univers historique chez Seuil. À ma connaissance, il est épuisé et n’a pas été réédité.)

 

 

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l’utilisation de cookies nous permettant par exemple de réaliser des statistiques de visites.