27 octobre 1922, partout dans toute l’Italie les fascistes tentent d’occuper les préfectures et autres bâtiments publics qui symbolisent le pouvoir.

« La seule solution face à la crise consiste à confier la succession du gouvernement Facta à Mussolini. Le parti qui a déterminé la crise est le parti fasciste, c’est donc le chef de ce parti qui doit être appelé à former le nouveau gouvernement. Nous vivons une crise extraparlementaire. Ce n’est plus la chambre qui désigne le gouvernement, c’est le pays. Qui représente le pays en ce moment ? Nous, les fascistes ! Les autres refusent de reconnaître la réalité de cette situation. Nous sommes déjà à Rome. »

Déclaration aux journalistes de Michele Bianchi, secrétaire du Parti National Fasciste (PNF), Rome, matin du 27 octobre 1922.

Le vent de folie qui règne dans le pays favorise les intérêts des fascistes. Il contribue à évoquer le spectre qu’on s’efforce d’exorciser.

La seule réalité d’un exorcisme, c’est la peur du démon.

La peur est une arme affûtée. Vivifiée par les murmures des conspirateurs, la marche qui était hier encore un tas d’argile informe est désormais un monstre menant sa propre vie.

La vision de milliers d’hommes noirs surgis des ténèbres et fondant, armés vers la capitale pour conquérir le pouvoir constitue l’une de ces anciennes prophéties qu’il suffit de prononcer pour qu’elles s’accomplissent.

Désormais, « la marche » glisse sur un plan incliné. Si personne ne les arrête dans la journée, les « squadristes » partiront à l’assaut des préfectures dans les chefs-lieux de province de toute l’Italie.

Durant les quelques heures qui le séparent de ce délai, Mussolini dira pour la dernière fois « oui » à tout le monde.

Reste à savoir si l’armée du roi ouvrira le feu sur les chemises noires.

Aux douze coups de minuit du 26 octobre 1922, l’allumette de l’incendie passe entre les mains des fascistes.

À 20 H 5, le 27 octobre, le roi Victor-Emmanuel III arrive en gare de Termini à Rome. Le président du Conseil Facta l’accueille.

Victor-Emmanuel se dit las, contrarié, chagriné, il menace d’abdiquer et de se retirer avec femme et enfant à la campagne.

Puis dans un sursaut de fierté, il déclare que Rome doit être défendue à tout prix.

L’expression « État de siège » est prononcée pour la première fois. La proclamer suffirait à empêcher la marche.

Vers 21 h, Facta apprend au roi que les négociations avec Mussolini ont échoué.

Facta démissionne.

S’il avait démissionné, serait-ce que 24 heures plus tôt, il aurait doté le pays d’un gouvernement capable d’affronter l’agression fasciste.

En démissionnant en pleine tempête, il abandonne l’Italie au péril fasciste sans gouvernement.

De retour au Viminal, il autorise les fonctionnaires à rentrer chez eux.

Comme il le fait depuis 30 ans sans exception, Luigi Facta se couche avant 10 heures du soir.

Efrem Ferraris, son jeune chef de cabinet, retourne au ministère de l’Intérieur et entame sa veillée d’armes.

Pendant des heures, il observe, dans l’obscurité de la nuit, le clignotement des téléphones qui relient les préfectures au ministère.

Pendant des heures, dans le silence des grandes salles du Viminal, Ferraris regarde les dépêches urgentes s’accumuler sur les tables. Il note les noms des préfectures occupées, des bureaux de télégraphe envahis, des garnisons militaires qui fraternisent avec les fascistes, des trains réquisitionnés qui se dirigent, chargés d’armes vers la capitale.

Le spectacle grandiose que constitue l’effondrement d’un État s’étire jusqu’à l’aube devant ses yeux solitaires.

 

Cet article est composé d’extraits de lecture du livre d’Antonio Scurati « M, l’enfant du siècle » édité aux éditions les Arènes en 2020. Je vous invite vivement à sa lecture.

Scurati, chercheur éminent, est aujourd’hui interdit de télévision par le gouvernement postfasciste italien de Georgia Meloni à cause de ses écrits sur Mussolini.

Les fascistes ne veulent pas que leur duplicité soit exposée, c’est ce qui m’amène à vous proposer cette série hebdomadaire sur les coulisses de la marche sur Rome et la prise de pouvoir du fascisme en Italie pendant 23 ans.

La semaine prochaine, nous remonterons le temps jusqu’au 28 octobre 1922.