26 octobre 1922, siège du « Popolo d’Italia » à Milan, Mussolini s’apprête à recevoir les grands patrons italiens dans les locaux de son journal quotidien.

« Des nouvelles nous parviennent à propos de tentatives insurrectionnelles ordonnées par le parti fasciste, prévues pour une date imminente avec prise de possession des bureaux gouvernementaux dans certains centres urbains. Lorsque ces tentatives se manifesteront, il faudra, après avoir eu recours à tous les autres moyens, résister par les armes. ».

Télégramme du ministre Paolino Taddei aux préfets, 26 octobre 1922, 12 h 10.

La réouverture de la chambre parlementaire est prévue pour le 7 novembre, ce sera trop tard.

Les évènements se précipitent très vite.

Désormais, c’est une course contre la montre qui s’engage.

Le préfet de Milan, Lusignoli a informé le gouvernement que les fascistes préparent un coup de force pour la nuit du 27 octobre. Lusignoli esquisse trois hypothèses permettant d’affronter l’assaut fasciste : s’imposer par le nombre, écraser par les armes, ne pas réagir.

Écartant cette troisième et absurde troisième voie, le ministre de l’Intérieur, Paolino Taddei a enjoint à 12 h 10 aux préfets du royaume d’Italie de résister par les armes à toute tentative d’insurrection fasciste.

Il a également ordonné l’arrestation immédiate des chefs fascistes, Mussolini en tête, au premier signe d’insurrection. Le télégramme qui mettrait fin à la marche sur Rome avant qu’elle ne débute repose sur le bureau de Lusignoli.

Au siège de son journal, « Popolo d’Italia », Mussolini ignore encore ces dispositions. Par prudence, il a fait construire le long de la grille une barricade qu’il a confiée à la garde de miliciens armés de fusils.

Lors d’une réunion des rédacteurs, on prépare d’énormes tirages. Mussolini déclare : « L’action révolutionnaire nationale va débuter, que chacun soit à son poste. Ceci est un fortin, notre fortin, et il faut le défendre à tout prix. »

Parallèlement, le Duce du fascisme emploie envers le monde extérieur un autre ton, le ton conciliant et satisfait qu’on adopte quand le monde finit par vous courtiser après qu’on l’a courtisé pendant des années. Soudain ce sont les autres qui veulent négocier, Mussolini lui, ne refuse de pieux mensonges à personne.

Défendu contre la mitraille par une barricade en papier trempé, Mussolini parle aussi le langage de la sagesse et de la mesure. Il va employer ce langage devant les grands patrons italiens qui, après des années de différends et de mépris, se décident, le 26 octobre en fin d’après-midi, à gravir l’escalier du « fortin ».

Une délégation des principaux industriels milanais et lombards, emmenée par Alberto Pirelli, est venue rendre visite et présenter ses hommages à Mussolini.

Les membres de la délégation évoquent les principales inquiétudes du moment, relatives à l’évolution du taux de change, au cours des titres d’État et à la dette extérieure du pays.

Pleins d’admiration, ils écoutent ce chef d’un mouvement révolutionnaire en cours, ce sauvage dispensateur de féroces menaces discuter de ces problèmes avec une grande pondération et un sens très vif de leur importance.

À leur sortie du « fortin », ils ordonnent à l’Association bancaire de verser deux millions de Lires sur le compte du Parti national fasciste.

Du côté du gouvernement, le Conseil des ministres imagine que les fascistes vont se satisfaire de strapontins dans un nouveau gouvernement.

Le télégramme du ministre Taddei ordonnant l’arrestation des chefs de l’insurrection fasciste gît toujours sur le bureau du préfet Lusignoni, qui a encore l’espoir d’être nommé ministre.

 

Cet article est composé d’extraits de lecture du livre d’Antonio Scurati « M., l’enfant du siècle » édité aux éditions Les Arènes en 2020. Je vous invite vivement à sa lecture.

Scurati, chercheur éminent, est aujourd’hui interdit de télévision par le gouvernement postfasciste de Georgia Meloni à cause de ses écrits sur Mussolini.

Les fascistes ne veulent pas que leur duplicité soit exposée, c’est ce qui m’amène à vous proposer cette série hebdomadaire sur les coulisses de la marche sur Rome et la prise de pouvoir du fascisme en Italie pendant 23 ans.

La semaine prochaine nous remonterons le temps jusqu’au 27 octobre 1922 qui va voir les bandes fascistes attaquer les préfectures et sièges des pouvoirs locaux.