Si 1932 est l’année de naissance du libéralisme autoritaire en Allemagne, Grégoire Chamayou, nous explique que sa gestation remonte à la crise économique de 1929.
Dès 1929, Carl Schmitt et Alexander Rüstow ont la même critique de la république de Weimar. Ils dressent un tableau apocalyptique d’un État-providence expansionniste et impotent qui « jette l’argent par les fenêtres ».
Ce n’est pas encore « le coût d’un pognon de dingue », mais ça y ressemble.
En Allemagne l’importance de la crise de 1929 a profondément ébranlé l’économie réelle et l’économie en tant que discipline. Son principal effet théorique est de mettre à mal le postulat d’un marché autorégulé si non perturbé qui prévalait jusqu’alors dans le libéralisme.
Pour les libéraux autoritaires, les raisons de la crise ne sont pas internes au système capitaliste. Elles sont externes, extérieures.
Dans leur raisonnement, le cours normal du capitalisme a été perturbé par des facteurs exogènes, étrangers aux mécanismes du marché.
Cet élément venu du dehors, comme un alien, est très vite désigné : « l’intervention et les subventions de la main publique ». Par intervention et subventions, Schmitt et Rüstow entendent bien sûr : « salaire » et « social ».
En complément, l’intervention indue des masses dans le champ politique via les grèves, la représentation parlementaire, les syndicats, est critiquée par les libéraux autoritaires.
Pour eux la crise économique de 1929 plonge ses racines dans la révolution de 1918-1919, au sein de la république de Weimar. Dans une sorte ‘’d’absolutisme démocratique’’, dans la tendance du peuple à s’identifier à l’État-providence. Cette sollicitation des masses envers l’État est désignée comme cause de la fragilité de la république de Weimar.
Au début des années 1930, les libéraux autoritaires désignent un ennemi les masses dispendieuses et leur ‘’mentor’’ l’État démocratique protecteur.
Ils esquissent dans le même temps une solution au problème : le retrait économique de l’État providence, l’arrivée « d’une dictature dans les limites de la démocratie » (Rüstow 1929).
Si la solution choisie par Rüstow n’était pas la même que celle de Schmitt (le premier privilégie le pouvoir du chancelier, le second celui du président). Ils se rejoignent tous les deux sur l’exigence d’un exercice plus autoritaire du pouvoir d’État.
Rüstow appelle lui explicitement de ses vœux l’arrivée d’un homme providentiel.
En attendant l’arrivée du Messie libéral autoritaire, il faut préparer le terrain. La modification de la constitution est un de ces moyens.
Hermann Heller perspicace comme à l’accoutumée adresse à Rüstow la question suivante : « mais que se passerait-il, cher Rüstow, si un tel appareil de pouvoir dictatorial tombait entre les mains d’un homme médiocre, d’un ‘’Führer’’ incompétent, voire pire, auquel on aurait laissé carte blanche ? ».
Aujourd’hui nous connaissons la réponse, en 1933 Hitler accède démocratiquement au pouvoir, porté (entre autres) par les thèses libérales autoritaires.
Il y a là de quoi méditer sur le rôle de marchepied pour l’extrême droite, que peut jouer en France le macronisme.