Nous continuons à suivre Grégoire Chamayou dans son analyse du libéralisme autoritaire.
Ayant pris connaissance du discours de Schmitt aux patrons allemands, Heller y répond par un court texte qui compte parmi les plus clairvoyants de la période.
Nous assistons là, analyse-t-il, à l’émergence d’une nouvelle catégorie politique, une synthèse étrange : un « libéralisme autoritaire ».
On avait déjà entendu Schmitt dire : « que l’État actuel était un État faible parce que ‘’pluraliste’’ ». Sans précisions. Or là devant un parterre d’industriels, il est enfin sorti du bois : l’État à venir sera un État fort.
Le président du Reich, lui et uniquement lui est seul responsable devant Dieu. Une conception autocratique de l’autorité politique, qui prétend ne l’assoir que sur elle-même.
Cette autorité autocratique, quelle va être son extension ? Jusqu’où est-elle censée aller ? Les partisans de cet État fort veulent-ils réellement un pouvoir sans limite ? « Non absolument pas », clarifie Heller. Cela, cette « rêverie exaltée », ils la laissent à d’autres sur leur droite. En Allemagne ce seront les nazis.
Heller nous adresse un conseil de méthode : face à un pouvoir autoritaire, ne pas se laisser abuser par l’image totalisante qu’il projette de lui-même. Ne pas postuler qu’il exercerait une emprise absolue, intégrale et uniforme ; être attentif au contraire à ses bornes, à ses manques et à ses disparités.
La bonne question à poser est celle-ci : cet État « autoritaire », envers qui l’est-il au juste, et avec qui ne l’est-il pas ?
La pierre de touche réside dans le rapport que cet État entretient avec « l’ordre économique ». Dès que l’on vient à parler d’économie, l’État autoritaire renonce entièrement à son autorité, et ses porte-paroles soi-disant « conservateurs » ne connaissent plus d’autres mots d’ordre que celui-ci : liberté de l’économie par rapport à l’État !
Loin de procéder à l’abstinence dans les politiques de subventions patronales, cet État procède consciencieusement au démantèlement autoritaire des politiques sociales.
C’est donc un État fort-faible. Fort contre les revendications démocratiques de redistribution sociale, mais faible dans sa relation au marché.
Un État fort avec les faibles et faible avec les forts.
C’est cette asymétrie – celle d’une politique de classe – qui en constitue le cœur.
La stratégie fondamentale du libéralisme autoritaire se résume ainsi : procéder à une « dés-étatisation de de l’économie », à un « retrait de l’État (…) hors de la politique sociale » par le biais d’une « étatisation dictatoriale » du champ politique.
Aujourd’hui en France, quasiment un siècle après cette analyse d’Heller nous pourrions reprendre la même appréciation : l’État libéral autoritaire est fort avec les faibles et faible avec les forts.