Le 6 Janvier 1999, voilà exactement 23 ans, le pianiste de jazz Michel Petrucciani, atteint de la maladie des os de verre, condamné à une vie brève, disparaît effectivement prématurément. Il vient d'avoir 36 ans !
Tout commence en 1962 à Orange, où le futur pianiste naît dans une famille modeste mais férue de jazz. Il est le fils d'Antoine Petrucciani, dit « Tony », Napolitain d'origine, guitariste de jazz renommé qui a été son professeur de musique et a collaboré par la suite à plusieurs de ses albums. Antoine Petrucciani a, durant de nombreuses années, donné des cours de guitare jazz dans de nombreuses écoles de musique municipales de la région.
Michel Petrucciani est handicapé dès la naissance du fait d'une ostéogenèse imparfaite la « maladie des os de verre » (atteint de la forme sévère, sa taille adulte n'atteindra que 99 cm, et il sera victime de fractures même pendant ses concerts). Il ne peut pas être scolarisé mais reçoit une formation musicale de son père (qui lui fabrique un rehausseur de pédales) et de Raymonde Jacquemart qui lui apprennent le piano. Ainsi, il chante les classiques du jazz à trois ans, joue du piano à quatre et accompagne à 13 ans le trompettiste américain Clark Terry stupéfait: "Il jouait comme un vieux Noir désabusé, perdu dans un piano-bar quelque part à Mexico". se souvient-il.
Pour échapper à la fois aux hôpitaux et à la tendresse épuisante des autres qui l’infantilisait, il s’enfuit en Californie.
Il enregistre avec le batteur Aldo Romano cinq albums entre 1981 et 1985. Il fait la connaissance de Charles Lloyd, saxophoniste très actif dans les années 1960, qui décide de se remettre à la musique et ils se produisent ensemble
Il peut tout expérimenter, et voyager avec les amarres du piano pour le ramener à terre. Devenu autant américain que français, mais toujours du Vaucluse, il fera une carrière, mêlant jazz commercial et fulgurances. Il quittera ensuite la Californie pour New York..
Dans les années 1990, il se produit en public et enregistre des disques en divers lieux du monde. Son jeu est caractérisé par une remarquable indépendance des mains gauche et droite et une vitesse d'exécution exceptionnelle due à un entraînement intensif et peut-être à ses grandes mains aux os légers, ce qui permet à ses doigts de rebondir très vite sur les touches.
Michel joue le piano contre la maladie, la force d'âme contre la faiblesse du corps, la gaieté contre la souffrance, le charme contre la difformité. En un mot, la vie contre la mort, mais une vie consumée par les deux bouts, menée à mille à l'heure au risque de précipiter le rendez-vous fatal. Tout lui sera bon pour ce faire. La consommation de drogue, la conquête des femmes, la déconne avec les amis, et évidemment, par-dessus tout, l'amour de la musique, la rage de la musique, à en dilapider le peu de santé dont il disposait, à s'en briser les doigts sur le piano. Et le succès est au rendez-vous.
Mais le rythme infernal des tournées aura bientôt raison de lui. Tout le monde lui disait pourtant de ralentir. Il suffit de découvrir Michel Petrucciani dans les archives filmées pour comprendre pourquoi il ne le fit pas. Tchatcheur, dragueur, viveur, pétillant d'esprit, pétant de vie, le plus petit pianiste du monde savait son temps compté pour devenir un géant. S'il laissa derrière lui quelques douloureux souvenirs sentimentaux, sa mort rendit tout le monde, y compris ses femmes, inconsolables. Il avait peut-être percé, plus vite et plus fort que d'autres, le secret de l'existence : conquérir le bonheur en le faisant partagerL'histoire de Michel Petrucciani est exceptionnelle. C'est la lutte d'un homme pour se sortir par le haut et par le beau d'un destin qui le vouait à l'insignifiance, au pire à l'indignité, au mieux à la commisération.
Volubile comme tout bon enfant d’Orange, méridional jusqu’à l’excès, doté d’une énergie volée au soleil des jours et du midi dans une recherche éperdue du bonheur, il aura joué à cache-cache entre la douleur et les touches du piano. Aimant la fête il prenait la vie de vitesse.
Vif comme un écureuil, généreux au-delà des normes humaines, porté par son amour à pleines dents pour la vie, il aura été contesté par les puristes et adoré par le grand public. Il voulait être compris et surtout donner du bonheur à ceux qui l’écoutaient. Partage plus qu’égoïsme : « Il est capital pour moi de donner, passer cette générosité qui est indispensable dans l'art, la musique et la vie". En solo, il se laissait emporter, il se faisait débordement par toutes ses écoutilles. Avec ses os en cristal, il taillait des bouteilles à la mer, parfois grave, immédiatement après loufoque et grossier et toujours la larme si près de l’œil.
Lui parler était fort simple, à condition absolue de ne jamais s’apitoyer sur lui et sur le monde, et de louer virilement la beauté des femmes et du vin. Pudeur de l’impudeur, il balayait avec ses immenses pognes les miettes de la douleur, et caressait jusqu’aux spasmes les touches du piano. J'ai assisté à un de ses concerts dans les années 90 au Corum à Montpellier. La phase de son installation derrière le piano était troublante, lente et difficile sous nos regards de voyeurs, entre gêne, pitié et admiration. Une fois en place, il s’empoignait dans un beau combat corps à corps avec l’ivoire des notes.Le piano était son royaume, sa transfiguration mais aussi un tambour vers les autres, un feu de camp pour éloigner les mauvaises ombres. Lui qui n’aura appris la musique qu’à l’oreille, « qu’à coups de pied aux fesses » en se confrontant aux autres, aura été une fontaine publique de la musique. Elle sortait de lui déhanchée et intarissable, vitale et limpide. Fouettée par le swing, et refusant les laisser-aller, sa musique était son combat. Il se savait en sursis alors il s’y est consumé entièrement.Épuisé par son rythme de vie et de tournées, il meurt ce 6 janvier 1999, à 36 ans, d'une pneumonie.
Il est inhumé à Paris, juste en face de Pierre Desproges, disparu prématurément lui-aussi ....
...... mais lui, c'est pas la même musique et c'est une autre histoire !
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